Chronique | Opeth - Sorceress

Pierre Sopor 12 octobre 2016

Peu importe les choix artistiques de son leader Mikael Åkerfeldt, peu importe les évolutions du groupe, un nouvel album de OPETH est toujours la garantie d'un travail soigné, d'un album aux petits oignons qui flatte l'oreille, et d'un univers magique dans lequel il fait bon se perdre. C'est d'autant plus vrai depuis le virage opéré en 2011 avec Heritage, assumant les penchants rock progressifs et psychédéliques, voire folk, avec lequel le groupe flirtait depuis plusieurs années (souvenez-vous de Damnation, déjà dénué des aspects les plus extrêmes du groupe en 2003).
Avant même d'en lancer l'écoute, Sorceress se place en digne héritier de Heritage et Pale Communion, avec son artwork fourni, aux couleurs vives et chaudes sur lesquelles il ne faut pas se méprendre : ce joli paon trône sur un tas de cadavres ensanglantés. On ne se réinvente pas non plus entièrement : l'univers des suédois reste sombre, morbide et inquiétant. Cette dualité entre beauté solaire et présage funeste se retrouve également dès le premier titre de l'album, Persephone, déesse des Enfers grecs mais aussi des récoltes et du blé. Vie et mort s'entremêlent, et musicalement Sorceress oscille entre calme et tempête. Le morceau-titre s'ouvre d'ailleurs sur quelques accords légers avant que de riffs plus lourds ne viennent faire planer une menace à peine voilée. Le chant clair de Åkerfeldt est parfait et suffirait à lui seul pour que le charme opère, mais OPETH ne se contente pas d'avoir un bon chanteur. Malgré ses coupures qui renvoient aux expérimentations prog psychédéliques très 70's des précédents albums, l'ensemble est fluide et s'écoule naturellement. La séduction continue avec The Wilde Flowers (peut-être un clin d'oeil au groupe du même nom ? OPETH citait bien GOBLIN dans Pale Communion), et si le ton est désormais familier (on pense à KING CRIMSON ou PORCUPINE TREE pour citer un groupe plus récent), la recette continue de produire son effet. Ce début d'album fonctionne d'ailleurs bien mieux que Pale Communion, qui manquait de surprises comparé au superbe Heritage, mais n'avait pas non plus la même efficacité dans les mélodies que Sorceress. Ici, les refrains restent en tête et chaque morceau donne envie d'y revenir, de s'y perdre. Du moins jusqu'à Chrysalide, qui marque une réelle césure avec son agressivité et son rythme plus rapide moins propice à l'introspection. Ça se la jouerait presque épique dans l'évolution du morceau, mais la sauce a du mal à prendre. Il faut en fait attendre les sonorités archaïques, à la fois orientales et médiévales de la superbe instrumentale The Seventh Sojourn pour que l'écoute se fasse à nouveau religieuse. The Strange Brew contient à la fois des parties de batterie qui flirtent avec des tendances death, des guitares psychédéliques, un chant écorché quasi grunge et des moments de pure contemplation. On y trouve aussi les moments les plus noirs de l'album, les plus désespérés aussi. C'est beau comme un soleil qui meurt, s'éteignant dans une mare de sang. Peut-être que les pistes suivantes souffrent de la comparaison, ou peut-être que notre attention baisse, mais A Fleeting Glance et Era sonnent bien plus anecdotiques pour conclure l'album.
Ce qui est fou avec OPETH, c'est qu'en toute franchise, Sorceress ne propose rien de vraiment nouveau. Tout ce qui se trouve dedans, on l'a déjà entendu dans la discographie des suédois, que ce soit récemment ou dans des albums plus anciens. Tout est familier, et pourtant, rien ne sent le réchauffé. Il y a là-dedans un savoir-faire qui touche au génie quand ça fonctionne (ce qui était déjà moins le cas sur Pale Communion), et qui force l'admiration. L'album s'écoute encore et encore avec un réel plaisir, c'est agréable de se laisser bercer par ses mélodies et ses arrangements envoûtants. Cependant, Sorceress est le troisième album depuis Heritage et son changement de ton, et bien que cette évolution soit dans la continuité logique du travail d'OPETH, il serait peut-être temps de chercher à nous surprendre et nous bousculer à nouveau ?