Chronique | Nick Cave & The Bad Seeds - Skeleton Tree

Pierre Sopor 14 septembre 2016

Skeleton Tree n'est pas un album facile. Ce n'est pas un album facile à écouter, mais on devine que sa confection a également été douloureuse, forcément marquée par la tragique mort d'un des fils de Nick Cave. Et ce n'est pas non plus un album dont il est facile de parler. 
Même si par pudeur on préfèrerait ne pas avoir à l'évoquer, parce que c'est douloureux, parce qu'on ne peut pas comprendre, la mort de cet enfant est pourtant là, bien présente, inévitable. Nick Cave nous a habitués aux morceaux sombres, menaçants et malsains, à ses histoires macabres et violentes chantées de sa voix de crooner. Mais rien ou presque, dans son oeuvre, ne nous avait préparés à Skeleton Tree. Certes, le dernier album de NICK CAVE AND THE BAD SEEDS, Push The Sky Away, comportait déjà quelques éléments plus électroniques, mais on est très loin des nappes ambient de Jesus Alone, qui ouvre l'album. Cette entrée en matière hantée nous plonge directement dans ce que va être cet album : un long poème cauchemardesque, froid, noir, minimaliste. La pochette de Skeleton Tree est d'ailleurs particulièrement éloquente : comme si dans le deuil, seule la sobriété et la pudeur ont leur place, au lieu d'artifices déplacés et futiles qui paraîtraient au mieux grotesques. Nick Cave, de sa voix grave, récite son texte imagé, invocatoire et symbolique, alors que les discrètes boucles instrumentales nous hypnotisent petit à petit et que l'on se noie déjà dans une expérience qui s'annonce quasi mystique. On est loin, très loin, du Nick Cave qui, de sa voix assurée nous chante ses balades séduisantes ou nous raconte ses sombres histoires sur fond de rythmiques entraînantes. Il y a de quoi, pour l'auditeur, être déstabilisé. Skeleton Tree est un album atmosphérique, où tout est images et impressions. L'humilité et la métaphore face à la mort sont préférées à une confrontation directe. La voix de Nick Cave n'a pas sa clarté habituelle, brisée, ses fêlures se font parfois flagrantes (Rings of Saturn, I Need You) et nous renvoient à des conditions d'enregistrement où l'improvisation est très présente. Il en résulte une sincérité, une spontanéité saisissante, qui nous rappelle The Man Comes Around de JOHNNY CASH ou, plus récemment, Blackstar de DAVID BOWIE. Des oeuvres dans lesquelles des monuments de la musique nous apparaissent avec simplicité dans toute leur fragilité, mais nous rappelaient que leur besoin de créer était plus fort que leurs peines. Il en résulte une oeuvre d'une puissance inégalable, d'une noirceur rare et authentique, sublime, souvent déchirante (écoutez donc l'incroyable Girl In Amber). 
On le disait au début, Skeleton Tree n'est pas un album facile. Sa lenteur, son atmosphère et son côté très ambient en font un album qui peut rebuter à première écoute. Et pourtant, c'est un album magique. C'est un chant funèbre, c'est un exorcisme, c'est un rite de passage. C'est surtout un album magnifique qui se mérite, et qui impose un respect sans nuances pour Nick Cave et la puissance de son oeuvre.