Chronique | Me And That Man - Songs of Love and Death

Pierre Sopor 16 mars 2017

ME AND THAT MAN nous confirme ce que les vodkas de supermarchés nous avaient déjà enseigné : la Pologne, c'est un peu le Far West. Ils ont des bisons, et maintenant ils ont aussi un projet blues / country / folk bien redneck grâce à Nergal, le frontman de BEHEMOTH. Celui-ci avait visiblement envie avec ce Songs of Love and Death d'explorer d'autres horizons après l'impressionnant The Satanist. Associé à John Porter, le voici aux commandes d'un nouveau groupe, sans pédale de distorsion, sans chant saturé, sans maquillage (peut-être sur les traces de KING DUDE, allez savoir). 

L'intro ajoutée au clip de My Church is Black, plante le décor : ce premier album de ME AND THAT MAN sera sous influence. On a en effet envie d'ajouter un "but nevermind" à la fin de chaque vers de cette introduction récitée d'une voix grave à la LEONARD COHEN. Avec son rythme lourd et marqué, son refrain accrocheur et son harmonica, cette entrée en matière est plutôt réussie. L'ambiance générale est sinistre, les paroles ne devraient pas trop chagriner les fans de BEHEMOTH. Le morceau à un gros air de Personal Jesus de DEPECHE MODE, une ressemblance plus flagrante encore sur Nightride, d'ailleurs. Dès les premières secondes de l'album, les ombres de NICK CAVE AND THE BAD SEEDS ou JOHNNY CASH se mettent à planer autour du projet, et plutôt que de les fuir, Nergal s'y réfugie (au point de donner l'impression de se cacher derrière). ME AND THAT MAN emprunte au crooner australien son chant (et pas que, Ain't Much Loving par exemple pourrait sortir tout droit de Tender Prey ou Let Love In), alors que l'influence du Man in Black transpire de chaque morceau : les percus évoquant les chaînes des bagnards et leurs coups de pioche qui hantent la superbe Cross my Heart and Hope to Die ont un côté très Ain't no Grave, par exemple. Avec ses chœurs d'enfants, et son refrain qui reste en tête, ce titre est d'ailleurs un des moments forts de l'album.


Tout n'est pourtant pas aussi mémorable : malgré son côté redneck bien marqué, On the Road s'oublie rapidement, les chœurs de Better the Devil I Know ne suffisent pas à faire décoller entièrement le morceau et One Day est bien trop légère pour nos âmes noires et souillées avides de souffrance et de désolation. L'enchaînement Of Sirens, Vampires and Lovers et Magdalene, plus mélancolique et romantique, est moins convenu. En fait, Songs of Love and Death est une sorte de grosse tarte à la crème pour jouer aux méchants cowboys crasseux. On y cause bibine et mort, et des titres comme Shaman Blues, Voodoo Queen ou Cross My Heart and Hope to Die semblent tellement surjouer avec les clichés qu'ils en sont irrésistibles et jouissifs. ME AND THAT MAN flirte dangereusement avec le too-much tout du long de ses treize morceaux, ça sent le crotale et la botte qu'on ne retire pas même pour dormir, le sable et la sueur, le pénitencier et le saloon, les carcasses pourrissant au soleil, le goudron et les plumes. Il est assez amusant d'ailleurs de voir comment des artistes européens se réapproprient le folklore nord-américain pour en sortir des versions à la limite de la caricature mais diablement efficaces (les meilleurs westerns ne sont-ils pas italiens ?).

Peut-être parce qu'il se cherche encore un peu dans cette direction, Nergal ne s'affranchit jamais de ses influences, mais dans ce style plus dépouillé qui ne pardonne rien, il s'en sort plutôt bien. Paradoxalement, c'est quand ME AND THAT MAN en fait trop qu'il devient vraiment enthousiasmant : ce n'est pas parce qu'il tombe la panoplie de BEHEMOTH que le chanteur se présente vraiment sans fard ni artifice, loin de là ! Si on a encore du mal à trouver une identité forte au projet, et qu'on demande toujours à être convaincu de la sincérité de la démarche, ce premier album n'en est pas moins sympathique. Très sympathique, même. Et si vous cherchez à parcourir l'Essonne à cheval cet été, vous tenez là la bande-son parfaite pour accompagner vos couchers de soleil.