Chronique | Leprous - Pitfalls

Pierre Sopor 19 novembre 2019

Comme toutes les années impaires depuis 2009, LEPROUS est de retour avec un nouvel album. Un rythme impressionnant qui, pourtant, ne signifie pas que les Norvégiens se reposent sur les acquis. Il y a deux ans, Malina démontrait une volonté de s'orienter vers des sonorités plus pop et un son adouci. L'artwork de Pitfalls semble, déjà, prévenir l'auditeur : en 2019, LEPROUS joue la carte de l'apaisement et continue sa lancée vers une musique moins dure. Ces derniers mois, les amateurs de musiques progressives ont été gâtés : TOOL, OPETH, KLONE et maintenant LEPROUS... Autant de pépites, mais autant d'albums qui nécessite un certain temps d'adaptation.

Dire de Pitfalls qu'il n'est pas un album "dur" relève de l'euphémisme. Si les racines prog sont toujours là, quelque-part, LEPROUS embrasse ouvertement la pop dès l'ouverture sur Below. La mélancolie du chant, appuyé par un violon tout droit sorti d'une bande-son de James Bond, plante le décor : Pitfalls est un album élégant et intime. Si les guitares puissantes qui sévissaient encore sur The Congregation et le growl des débuts ont disparu, la musique n'est est pas moins intense et saisissante.

Bien qu'on l'ait senti venir avec Malina, l'évolution de LEPROUS a de quoi déstabiliser. Les amateurs de guitares très techniques risquent de se sentir perdus alors que le groupe s'approche plus de ses influences trip-hop et electro (la très groovy I Lose Hope, Be My Throne ou Alleviate et son synthé crâneur) en s'éloignant de plus en plus du metal. Les ombres de MASSIVE ATTACK, DEPECHE MODE ou même JAMIROQUAI planent sur Pitfalls et pourtant jamais LEPROUS ne se trahit.

Les Norvégiens font en effet toujours preuve d'une élégance rare, leur musique est précieuse et fragile et, bien que plus accessible que jamais, toujours particulièrement sombre. D'ailleurs, la deuxième partie de Pitfalls semble revenir à un jeu de guitare plus direct, avec des titres à nouveau plus long, sauf la très nerveuse (mais superbe) Foreigner et son refrain fédérateur. Sur Distant Bells, un violon théâtral s'affole jusqu'à amener l'explosion finale : LEPROUS n'a rien perdu de son savoir-faire quand il s'agit de construire un morceau pour nous amener jusqu'à son apothéose et The Sky is Red en est la preuve ultime. Avec ses onze minutes et ses guitares enfin débridées, la conclusion de Pitfalls est épique et son final, dément et cauchemardesque, est superbe. Son impact n'aurait cependant pas été le même sans tout ce qui lui a précédé, et c'est là le coup de maître de Pitfalls : chaque élément est miraculeusement à sa place, rien n'est en trop, rien ne manque. 

Le chant d'Einar Solberg, haut perché et clair de bout en bout, n'a jamais été aussi mis en avant dans LEPROUS. Sa partition est heureusement impeccable, soutenu par le jeu de batterie de Baard Kolstad, impeccable. Si les guitares sont d'abord plus discrètes, ce n'est que pour mieux nous apparaître dans toute leur puissance et leur créativité en des moments choisis. Pitfalls est un album surprenant, déstabilisant certes, mais c'est aussi le travail d'un groupe en pleine maîtrise de son art et dont la confiance en son talent lui autorise une belle liberté.