Chronique | Laibach - The Sound of Music

Tanz Mitth'Laibach 28 décembre 2018

Ça devait arriver. On ne connaît que trop bien LAIBACH, son aptitude inégalée à la provocation et son goût de transformer n'importe quel objet de culture populaire en allusion malsaine et grotesque aux régimes totalitaires ayant rendu le groupe slovène aussi célèbre que sa musique, pionnière dans la musique industrielle ; aussi, lorsqu'on voit arriver cette pochette représentant le chanteur Milan Fras au milieu de ce qui semble être une image de propagande du régime nord-coréen, on sait, on sait que c'est reparti pour une volée de dérision grinçante et loufoque... et on a hâte.

Cette fois, c'est The Sound of Music qui fera office de cible, ou La Mélodie du Bonheur en français, comédie musicale américaine des années cinquante se déroulant en Autriche à l'approche de la seconde guerre mondiale (ouf, on a failli esquiver le point Godwin !) ; mais derrière le film, il y a surtout la Corée du Nord où LAIBACH a réalisé en 2015 une tournée qui a scotché jusqu'au Monde, et où The Sound of Music est traditionnellement employé pour apprendre l'anglais aux enfants... Manifestement amusé par l'idée de ces musiques candides aux mains d'un régime totalitaire, le groupe reprend donc la quasi-totalité des chansons du film, assorties pour faire bonne mesure de la chanson traditionnelle coréenne Arirang ainsi que de The Sound of Gayageum, morceau du groupe utilisant l'instrument coréen du même nom -l'album se finit sur une brève présentation du groupe pendant sa tournée en Corée du Nord. On n'a pas encore inséré le disque dans le lecteur que l'on hausse déjà les sourcils.

Et une fois entré dans l'album, on découvre avec stupeur que LAIBACH a décidé de jouer le jeu jusqu'au bout : il n'est plus question de l'industriel austère de l'album précédent Also Sprach Zarathustra (et très franchement, on commence à se demander s'il n'existerait pas deux groupes slovènes répondant au nom de LAIBACH), le groupe reprend les chansons dans toute leur dimension pop, à grand renfort de mélodies douces, de chœurs enfantins et de piano apaisant ! Certes, on sentait depuis longtemps que cela démangeait le groupe, car les mélodies pop étaient déjà présentes sur Volk en 2006, où elles accompagnaient des reprises d'hymnes nationaux graves et solennelles, ainsi que sur le magnifique album Spectre de 2014 où elles étaient mises au service de morceaux combatifs proches de l'EBM sur des paroles politisées ; mais cette fois-ci, LAIBACH a décidé d'aller jusqu'au bout de la démarche pour composer de véritables morceaux pop. Sauf que, évidemment, LAIBACH ne peut pas s'empêcher de faire du LAIBACH : ce seront donc des morceaux pop, mais des morceaux pop qui pousseront la gaieté jusqu'à la plus totale niaiserie alors que retentit la voix de basse au chant guttural de Milan Fras, accompagné en arrière-plan de quelques rythmes martiaux... LAIBACH caricature ainsi la pop, surjouant d'un côté sa candeur pour mieux faire ressortir son aspect superficiel, y adjoignant de l'autre des éléments inquiétants et déplacés ; le décalage qui s'ensuit donne l'impression que la naïveté de la pop est mise au service de quelque régime totalitaire pour endormir sa population. C'est dénonciateur, jouissif et particulièrement réussi lorsqu'à la voix de Milan se joint celle plus aigüe de Boris Benko, chanteur du groupe de synthpop slovène SILENCE (oui, il est tentant d'associer le nom de ce groupe et celui de l'album), utilisée en contraste avec celle de Milan. Au fond, la démarche est très proche de la reprise de Accross The Universe réalisée par le groupe dans une vie antérieure.

On glisse ainsi entre ces onze morceaux d'une innocence perverse, à la fois doux et menaçants, Do-Re-Mi, My Favorite Things et The Lonely Goatherd avec son clip trollesque s'avérant particulièrement plaisants. Néanmoins, même si ces morceaux sont agréables et bien pensés, l'album peine à nous faire dépasser le plaisir de voir la pop ainsi torturée pour vraiment nous emporter : aucune des chansons ne nous marque vraiment comme avaient pu le faire Walk With MeKoran ou Rossiya, pour rester dans un registre proche. Il n'y a pas besoin de chercher bien loin pour en comprendre la raison, c'est justement l'une des caractéristiques habituelles de la pop de caresser nos oreilles sans nous bouleverser ou nous mettre en mouvement. Pour cette raison, The Sound of Music n'est pas l'un des disques les plus réussis de LAIBACH sur le plan musical, mais manifestement, l'objectif de cet album défouloir est ailleurs.