Chronique | Kyūketsuki - Seppuku

Pierre Sopor 2 mars 2022

Il y a bientôt deux ans, le très productif Maxime Taccardi (K.F.R., GRIIIM) sortait coup sur coup Katana et Akuma, deux disques pour découvrir son travail sous le nom KYŪKETSUKI où il mélange black metal, dark ambient et folklore japonais. Deux ans sans y revenir, c'est presque une éternité dans l'univers torturé de Taccardi qui nous a habitué à un rythme de sorties particulièrement soutenu. Seppuku vient nous rassurer sur un point : il était écrit que KYŪKETSUKI aurait une suite.

Après l'arme, après le diable, c'est donc le suicide par éventrement qui sert de titre à ce nouvel album : noir c'est noir et il n'est pas question du côté de KYŪKETSUKI de mettre de l'eau dans son saké. Il est une chose qui frappe à l'écoute, c'est à quel point les différents projets de Taccardi sont à la fois imprégnés de la même âme sombre au style immédiatement identifiable, mais aussi à quel point ils se démarquent les uns des autres. Moins démoniaque et agressif que K.F.R., KYŪKETSUKI  nous frappe avec ses ambiances macabres. Le chant, toujours extrêmement torturé et viscéral, entre borborygmes grinçants, bruits de gorges malsain et grognements grimaçants, suinte de haine, de désespoir et de folie et suffit, à lui seul, à nous plonger en plein cauchemar.

Mais c'est surtout la lenteur qui forge ici l'identité de KYŪKETSUKI : à la limite des expérimentations drone, avec larsens et nappes hantées, Taccardi dresse des paysages sinistres et brumeux. Les discrètes percussions que l'on associe habituellement à la méditation se retrouvent ainsi corrompus par la pesanteur d'un brouillard opaque et un chant inhumain, dont on sent tout le poids de la prouesse physique. On pense aux spectres du film Kwaïdan de Masaki Kobayashi et son rythme contemplatif et hypnotique : il y a parfois de cette lourdeur théâtrale, solennelle, sentencieuse (Seppuku et ses lamentations d'outre-tombe, Mugen Jigoku, Oiwa's Curse...). La comparaison avec le cinéma semble d'autant plus approprié que le projet, dans ses ambiances, développe une gestion de la tension propre à cet art : l'intro The Meaning of Death ou les synthés de la fantomatique et bien nommée Yōkai, impressionnante conclusion atmosphérique d'un ensemble dont on sort déjà remué, nous hantent tout particulièrement.

L'écoute est pénible. Ce n'est pas un défaut : KYŪKETSUKI n'est pas un projet fait pour être facile et est peut-être le travail le plus hermétique de son auteur. Taccardi y cultive la dissonance, le bruitiste, le sale, le désagréable et la lenteur. Pour lui, le black metal est, par essence, une musique difficile, obscure, faite pour terrifier. Rares sont les artistes qui savent aussi bien retranscrire cet aspect dérangeant avec authenticité. Les titres s'enchaînent comme autant de malédictions, frappés par la mort et les tourments infernaux. Seppuku est un album de dark ambient teinté poisseux et funèbre comme on en entend rarement, dont la traversée est à la fois inquiétante et douloureuse. Comme toute proposition radicale, l'album divisera. Nous, on ressort frappé par la puissance de cette odeur fétide de putréfaction.