Chronique | Hypno5e - A Distant (Dark) Source

Pierre Sopor 23 novembre 2019

S'il est toujours délicat d'employer des superlatifs et dire d'un groupe qu'il est "le plus ceci" ou "le plus cela", HYPNO5E est assurément une des formations metal les plus fascinantes qui soit. Son metal, que par facilité on peut qualifier d'atmosphérique, cinématographiquee et avant-gardiste, est d'une richesse et d'une élégance unique. Après un album acoustique sorti l'an dernier et du long-métrage qui l'accompagnait, HYPNO5E a rebranché les amplis pour un nouveau voyage que l'on devine mouvementé.

De mouvement il a d'ailleurs toujours été question chez HYPNO5E, qu'il soit musical ou émotionnel. Le groupe, dans sa discographie comme dans ses compositions, jongle habilement entre continuité et rupture : comparons les artworks de cet A Distant (Dark) Source et celui de son grand frère Shores of the Abstract Line, le parallèle est immédiat et les recettes assez similaires. Cette vaste étendue vide qui reflète le ciel, ce pourrait bien être le lac Tauca, disparu depuis des millénaires, à la place duquel se trouve une étendue désertique en Bolivie, qui donne son nom au début et à la conclusion de l'album et servait probablement de décor au film Alba, les Ombres Errantes.

La Bolivie, la nostalgie induite par cette disparition, le mystère, mais aussi les vastes espaces laissés par les respirations qui permettent à l'auditeur de se projeter dans ce que Jessua et sa bande veut exprimer: les ingrédients sont là, déjà présents sur la pochette. La magie opère dès les premières secondes d'On the Dry Lake : des citations de La Machine Infernale de Cocteau et une ambiance mélancolique nous captivent une grosse minute avant qu'un mur de guitare imposant ne nous saisisse pour nous transporter dans ce nouvel ouragan.

Aborder HYPNO5E peut sembler tâche ardue : les morceaux sont longs, surprenants, d'une telle complexité qu'ils demandent plusieurs écoutes avant d'être assimilés. Et pourtant, cette complexité ne fait pas pour autant d'HYPNO5E un groupe cérébral, pédant ou inaccessible : il y a dans l'immédiateté et la puissance des émotions une viscérale universelle qui saisit immédiatement l'auditeur aux tripes. La violence qui jaillit subitement et l'apaisement des parties en chant clair se succèdent, l'un pavant le chemin de l'autre, l'équilibre est parfait : c'est sauvage et contemplatif.

Rupture et continuité, encore. Les morceaux s'étalent au-delà des dix minutes, flirtent avec le quart d'heure mais restent captivants de bout en bout. HYPNO5E peut passer d'un metal technique et brutal au dépouillement de l'acoustique évoquant l'Amérique Latine en un clin d'oeil, entre deux albums comme ils l'ont fait entre 2016 et 2018, mais aussi au sein d'un même morceau.

HYPNO5E n'a peut-être jamais accordé autant d'importance aux mélodies que sur A Distant Dark Source : plus qu'un simple va-et-vient entre parties calmes et énervées, l'album mélange les deux subtilement, laissant un piano ou un violon s'exprimer alors que les riffs de guitares, déjà, écrasent l'auditeur de tout leur poids. Pourtant, HYPNO5E n'a peut-être jamais été aussi agressif (les instruments dans la deuxième partie de Tauca Part. II flirtent avec le black metal).

Mais si les contrastes sont plus extrêmes que jamais, l'alchimie entre accalmie et tumulte n'a jamais été aussi subtile, les deux éléments n'ont jamais été aussi intimement imbriqués et dépendant l'un de l'autre. In the Blue Glow of Dawn et le magistral morceau-titre en sont les meilleures illustrations, avec ces coupures de rythme, ces samples poétiques et surtout la durée qu'ils s'octroient pour s'exprimer et prendre racine en nous. C'est aussi faire preuve d'une belle confiance envers son auditoire que de lui offrir tels morceaux de bravoure.

Rupture et continuité, toujours. A Distant Dark Source est la moitié d'un diptyque dont il est la deuxième partie. La première, on la découvrira plus tard. HYPNO5E installe son public dans la durée mais joue avec lui et s'amuse à le perdre, le secouer, l'étonner. Ce dernier album est un chef d'oeuvre, l'apogée d'un style porté à son paroxysme, un numéro d'équilibriste d'une justesse et d'une subtilité rare où chaque sentiment, chaque émotion, chaque idée est exacerbé et poussée jusqu'à dévoiler tout son potentiel et nous laisse, secoués, dans un état d'admiration traumatisée et respectueuse. 

En moins de mots, putain, mazette, quel disque !