Kristian Espedal, alias Gaahl, n'est pas du genre à se complaire dans la nostalgie, ni d'ailleurs à stagner artistiquement. Si l'artiste continue bien sûr à être associé au black metal, dont il est une figure incontournable, lui se fiche pas mal des étiquettes et accorde encore moins d'importance à leur respect. Il le prouvait en lançant Gaahls Wyrd, fascinant projet où ses racines metal extrême se mélangeaient à des influences doom, gothiques et folk pour créer quelque chose de mystique et fascinant. Son deuxième album, Braiding the Stories, s'affirme rapidement comme la continuité logique d'une démarche de plus en plus affirmée.
De continuité, il est bien question dès les premiers instants de l'album, alors que The Dream reprend les paroles qui concluaient l'EP The Humming Mountain ("this is the voice underneath the dream") : en toute logique, The Dream suit donc The Sleep et nous plonge immédiatement dans l'atmosphère irréelle et onirique de ce nouvel album. Surtout, on a cette sensation que Gaahls Wyrd laisse ses facettes les plus violentes de côté. Tant mieux : c'est quand il assume pleinement sa théâtralité gothique et son rôle de narrateur mystérieux que Gaahl nous touche le plus avec ce projet. De ses multiples voix, il nous conte alors différentes histoires au coin du feu, si possible lors d'une nuit sans lune ni étoiles et dans une forêt glacée sur laquelle le temps n'a pas encore eu de prise. Il y aurait d'ailleurs quelque chose à creuser du côté des voix, une thématique récurrente chez Gaahls Wyrd, le chanteur semblant alors servir de vaisseau pour incarner ses histoires et permettre à différentes entités de s'exprimer. Cette dimension narrative étrange est renforcée par des titres courts, transitions de deux minutes qui installe mystère et mélancolie (Voices in my Head, Through the Veil).
A la morgue lugubre et diction pesante et menaçante du chanteur, le guitariste Ole Walaunet, alias Lust Kilman, semble s'amuser à apporter des touches de lumières, respirations qui viennent dynamiser le ton opaque et monolithique de l'album à l'image de ce solo dans le morceau-titre... mais il vient aussi sacrément envoyer dans les passages les plus incisifs de l'album (Visions and Time et sa gestion de la tension ou Root the Will, dont le démarrage épique semble nous plonger petit à petit dans la démence rappellent qu'on n'est pas là uniquement pour méditer dans les ténèbres). Gaahls Wyrd refuse de se répéter mais n'a pas peur de se tourner vers le passé pour en extirper non seulement cette esthétique gothique mais aussi un certain psychédélisme. Ainsi, l'intense Time and Timeless Time est un voyage mouvementé entre mélodies sinistres, riffs mordants et pesanteur funèbre, un élément qui convient toujours aussi bien à la voix claire et profonde de Gaahl, intimidante et séduisante. And the Now, avec ses voix multiples et ses guitares qui partent d'un minimalisme folk pour nous plonger dans un brouillard plus proche du black metal, sur fond de percussions martiales et d'incantations immémoriales, impressionne.
On est en droit de se demander si l'artiste, en réactivant récemment son groupe de black metal Trelldom, n'en profitait pas pour y exorciser ses envies de choses plus extrêmes (bien que, là aussi, pas question de passéisme paresseux : le retour de Trelldom était plus proche d'un album d'Oranssi Pazuzu que d'une copie d'un groupe de Bergen du début des années 90 !). Braiding the Stories est un sombre mirage qui s'affranchit de règles stylistiques pour mieux nous perdre dans ses évocations poétiques. C'est un album captivant, non seulement car il nous transporte dans les différentes récits que Gaahl incarne et tresse pour nous, mais également car il est l'illustration de la créativité d'un artiste qui se souvient que la musique dont il est issu avait pour but de transgresser les règles et non d'obéir servilement à des dogmes de genre. Dans le genre sombre, hypnotique et affranchi de triviales considérations de genre ou d'époque, Gaahls Wyrd continue d'essayer de nouvelles choses et d'exceller.