Chronique | divmod - Pretty Warp Machine

Pierre Sopor 27 mai 2022

Imaginez un peu : un album entièrement réalisé à la GameBoy. DIVMOD n'est certes pas le seul à se lancer un tel défi un peu fou (on pense à HUORATRON ou RAINBOWDRAGONEYES qui, lui, s'autorise à piocher aussi du côté de la NES par exemple), mais la volonté de transposer les icônes de la musique industrielle dans cet univers chiptune nous a mis la mouche à l'oreille. Et si NINE INCH NAILS, MINISTRY, KMFDM, SKINNY PUPPY et tous les autres devenaient un tas de pixels en noir et blanc transposé dans le Royaume Champignon d'un vieux jeu Mario ? C'est le concept de Pretty Warp Machine, dont le titre et l'argument donne la couleur : ce sera ludique.

Évidemment, il ne faut pas s'attendre à un miracle, la palette sonore utilisée ayant ses restrictions. Et pourtant, assez étrangement, on se surprend à trouver que ça ne fonctionne pas si mal. Surprise : sans que l'on sache si notre esprit est aiguillé par le titre des morceaux ni s'il faut voir dans chaque morceau une référence au groupe pastiché, on trouve à Boo Hast une saveur martiale teutonne, à Pretty Warp Machine et Head Like a Toad des intros à la Terrible Lie (de vous-savez-qui), à Skinny Koopas des airs de Dig It dans sa dernière partie, etc. L'auditeur peut donc s'amuser à essayer de reconnaître (ou pas) les inspirations diverses de DIVMOD dont l'album est bel et bien ludique a plus d'un titre.

Malgré les possibilités restreintes, des mélodies et des rythmiques se mettent en place pour un résultat parfois absurde : Einstürzende Luigi's Mansion nous martèle les tympans d'un côté tout en installant une mélodie lugubre dans son minimalisme et, de l'autre, les effets sonores accompagnant les sauts d'un jeu de plateforme de l'Ancien Temps donnent une dimension comique au morceau. Le résultat est parfois étonnant et dépasse la simple curiosité, notamment quand il repose sur un minimalisme rentre-dedans efficace : Juke Joint Peach, Front 8-2 et Cabaret Wario font ainsi office de tubes. De plus, ses sonorités primitives ont une texture toute particulière parfois poisseuse qui confère à l'ensemble un petit côté cradingue pas déplaisant. DIVMOD exploite aussi le potentiel mélodique de la GameBoy dont les réverbérations sinistres savent produire leur petit effet lo-fi (ceux qui ont joué aux premiers Pokemon sont encore hantés par la mélodie de Lavanville) : la lugubre The Bowser Spiral est une belle illustration de ce qu'il est possible de créer. Bien sûr, DIVMOD nous perd parfois (lors de ses expérimentations plus bruitistes sur March of the Goombas, The Mushroom is a Terrible Thing to Taste ou Toadhunter). On dit que la foudre ne frappe pas deux fois au même endroit et il faut bien avouer que l'éclair de génie qui frappe certains titres n'a pas gracié tout l'album de sa fulgurance : l'expérience traîne parfois un peu trop en longueur, se reposant sur une palette limitée répétée en boucle.

Le pari est néanmoins réussi pour DIVMOD : le concept de Pretty Warp Machine étonne et, en choisissant de s'attaquer aux tauliers de l'indus, l'artiste autrichien peut titiller la curiosité d'un public plus vaste que les amateurs de chiptune. Peu importe que l'album soit inégal ou qu'on ne l'écoute pas d'une traite : l'exercice est accompli avec les honneurs et nous plonge bel et bien dans "le club le plus badass du Royaume Champignon".