Chronique | Dead Souls Rising - Black Out

Tanz Mitth'Laibach 27 avril 2023

Dead Souls Rising ne chôme pas. Un an seulement après l'excellent Miroir Illusions dont nous vantions les mérites dans ces colonnes, le duo gothique lyonnais est de retour pour son sixième album, déjà le troisième depuis sa reformation en 2019 ! Sur le précédent disque, on sentait Dead Souls Rising revenir à des thématiques plus inquiétantes, quoique sur une musique adoucie ; à voir la très belle couverture de Black Out, avec ses regards perdus au milieu de membres mécaniques inutilisables, ce nouvel album s'annonce passablement anxiogène. Voilà qui nous remplit d'enthousiasme !

Et en effet, ce qu'apporte Black Out à l'écoute et à la lecture des paroles, c'est avant tout davantage de solitude. Ce ne sont pas les relations qui sont au cœur ici, bonnes ou mauvaises ; les paroles chantées cette fois exclusivement par Alastrelle et écrites par elle témoignent d'un sentiment d'enfermement dans ses pensées et ses émotions, au risque de se couper d'autrui voire de la réalité. C'est ainsi qu'elle exprime peur délirante d'autrui (Dark Paranoïa), de son propre corps (Dysmorphobia, With your eyes), de l'incapacité à atteindre ses buts (Burn out), soif désespérée d'autrui (The last jump), aliénation (Alter Ego -l'ambiguïté des paroles est particulièrement plaisante) ; même les relations de Reflection of the divine et Watching the silence laissent finalement seul face à soi-même. Nous voilà en effet plongés dans l'obscurité, incapables de communiquer avec l'extérieur, seuls avec nous-même, et cette compagnie n'est pas toujours agréable.

Tels sont donc les sentiments que traduit l'instrumental de Sébastien. Si l'on n'est guère surpris d'entendre comme toujours la lourde basse écraser le chant d'Alastrelle par sa gravité lugubre et le piano se mêler de la partie, on l'est davantage par la place prise par l'électronique sur cet album, beaucoup plus présente que d'ordinaire ; on ne cherchera ici pas de nappe scintillante, elle est au contraire froide et oppressante. Cette évolution va de paire avec un changement significatif dans la structure des morceaux : plus simple que les constructions serpentines des albums précédents, ils se font plus répétitifs, souvent construit sur un rythme martelé, avec un tempo suffisamment lent pour nous transmettre une sourde angoisse. Pour le dire autrement, Dead Souls Rising tire beaucoup sur l'electro-indus sur cet album, au point qu'on le range plus facilement dans la grande famille de la darkwave que dans le goth-rock. On sait à quel point le groupe aime innover et évoluer, c'est même cela qui fait que nous y sommes restés aussi attachés depuis les années 90 ; en voici un nouvel exemple qui sied à merveille à la thématique !

Black Out est du reste un album court, d'un peu plus d'une demie-heure, c'est la seule chose que l'on regrette. L'album commence et finit par ses morceaux les plus calmes et les plus mélodieux : on est introduit par Dark Paranoia, construit comme une plongée, faisant la part belle aux cris d'Alastrelle, on en sort progressivement par les planants Reflection of the divine et Watching the silence, sur lesquels elle s'abandonne dans un chant mélancolique, donnant l'impression de partir irrémédiablement à la dérive ; au milieu, les morceaux les plus rugueux et les plus froids, dominés par l'instrumental oppressant. On retient particulièrement The last jump pour les cris désespérés d'Alastrelle au milieu d'une nappe de synthétiseur glaciale et d'un tempo qui joue avec nos nerfs, With your eyes pour sa tristesse rythmée par un piano austère, la mécanique entêtante de Burn out. Alter Ego est une curiosité : ses sonorités et son rythme très industriels ne sont certes pas nouveaux mais il est intéressant d'entendre Dead Souls Rising produire quelque chose d'aussi proche de la dark electro, presque dans les eaux de ce que pouvait faire autrefois Pzychobitch, d'autant que les cris déformés sont particulièrement adaptés à la dépossession de soi qu'expriment les paroles.

Sans revenir à ses incantations ténébreuses probablement inspirées par Diamanda Galás dans les années 90 -à celles et ceux qui ne les connaîtraient pas, on ne saurait trop recommander de se jeter sur la réédition d'Ars Magica- Dead Souls Rising nous fournit ici son album le plus sombre depuis cette époque, sans jamais cesser d'évoluer, et cela lui va à ravir. C'est l'un de ses meilleurs à ce jour, bien que la comparaison soit rendue malaisée par les différences d'époques et d'orientation de ses disques, et une perle qui sort du lot dans la production gothique récente. On veut plus d'albums comme celui-ci !