Chronique | Curse Mackey - Imaginary Enemies

Pierre Sopor 24 juillet 2025

Si la carrière de Curse Mackey ne date pas d'hier, ses aventures en solo sont relativement récentes. Son premier album sorti sous son nom, Instant Exorcism, ne remonte qu'à 2019 (il avait cependant sorti un morceau ou deux au début des années 2000). Depuis, l'artiste passé notamment par le supergroupe Pigface et My Life with the Thrill Kill Cult donne vie à ses cauchemars électroniques. Imaginary Enemies prolonge les explorations des deux précédents albums : après le chaos intérieur d'Instant Exorcism et le pourrissement sociétal dans Immoral Emporium, voici un album plein de paranoïa, de deuil, de monstres invisibles rôdant dans les ténèbres et de spectres intérieurs (et de titre dont les initiales font I.E.). Tout ce qu'on aime.

Impossible de ne pas avoir le CV de Curse Mackey en tête alors que commence Doomed for Monday : empilements de samples, synthés modulaires et, surtout, cette scansion sinistre et robotique... Voilà qui sent très fort le Chicago des années 90, Wax Trax! Records et, bien sûr, les Canadiens de Skinny Puppy. On apprécie immédiatement la mélancolie onirique qui se greffe à ce collage psychédélique angoissant. Curse Mackey assume ses racines et les modernise puis nous fait visiter son labyrinthe intérieur, torturé et noir. 

La force d'Imaginary Enemies réside dans l'émotion que l'artiste y insuffle et qui hante les sonorités plus mécaniques. Tout devient alors affaire de contrastes : les textures futuristes de Vertigo Ego se mélangent aux basses hypnotiques qui lui donnent sa touche mystique intemporelle, l'amertume de Blood Like Love (Killing Joke appréciera le clin d’œil) est à la fois contrebalancée et mise en valeur par un refrain entêtant doux-amer, un chant lugubre accompagne les rythmes entrainants de Disoccult et Star Witness... L'attrait de Curse Mackey pour les scènes goth et darkwave se devine régulièrement, comme par exemple dans les fantômes post-punk qui apportent au morceau Imaginary Enemies une touche plus organique. Tout cela contribue à donner à l'ensemble une âme, à rendre palpable les tourments que son auteur y exprime : ces machines sont accablées de spleen et d'angoisses.

Alors que l'album s'ouvrait sur une citation apocalyptique de la Bible, il s'achève sur un requiem crépusculaire. Six Ghosts of Fear (Napoleon Hill nomme les "six fantômes de la peur" peur de la pauvreté, de la critique, de la maladie, de la perte de l'amour, de la vieillesse et de la mort) mélange des poèmes d'Edgar Allan Poe, Thomas Stearns Eliot et Emily Dickinson parlant de guerre et de mort pour une conclusion épique et anxiogène. Pour paraphraser et détourner les mots d'Eliot, alors que le morceau s'emballe pour un final bruitiste évoquant un effondrement cataclysmique : ainsi finit Imaginary Enemies, avec un bang, ne nous laissant qu'avec les ruines à venir, liant les atrocités passées à celles actuelles et à venir. Curse Mackey mélange souffrances intimes et commentaire impitoyable sur le monde. Le résultat se parcourt comme un mauvais rêve où le temps n'a plus cours et est à la fois introspectif et grandiloquent, d'une froideur mécanique et rempli d'âmes en peine.

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Pierre Sopor

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