Chronique | Contrevents - Contrevents

Pierre Sopor 27 mars 2024

Ici, on aime les spectres, des esprits frappeurs tonitruants et grimaçants aux fantômes discrets dont on croit deviner la présence. C'est ce qui nous attire chez Contrevents. Le tout jeune duo l'ignore peut-être mais est hanté, il suffit de voir la pochette de leur premier EP éponyme : si cette photo n'essaye pas de saisir l'âme de son sujet, que l'on soit damnés ! Avec sa musique électronique qui erre entre ambient, trip-hop et même quelques touches noise et industrielles, Contrevents cite de manière explicite Alain Damasio et son roman La Horde du Contrevent et s'inspire de l'avenir de notre planète, leur eco-anxiété faisant instantanément ressurgir son lot de spectres, ceux de tout ce qui a déjà disparu mais aussi de tout ce qui s'apprête à être perdu dans les désastres écologiques actuels et à venir.

Ainsi, vous voilà prévenus : on ne va pas faire la fête. Contrevents peut-être vu comme l'évolution de Arche, side-project electro / ambient de Maxime Ingrand, également aux claviers et à la guitare dans le groupe de post-rock Lost in Kiev dont le dernier album prenait déjà une orientation plus synthétique, hanté par les questions environnementales. Il s'est associé à Paul Void (Stamp, Al Qasar, Crève Cœur) pour former un duo complémentaire : l'un se charge des mélodies et de mettre en place des atmosphères mélancoliques, l'autre, avec son bagage plus chaotique et bruitiste, y ajoute nuisances, tensions et percussions (le final paniqué d'Entrer dans la Douleur). Le résultat est un numéro d'équilibriste subtil dans lequel on entre progressivement avec Magnetic Waves qui prend le temps de nous envelopper de sa brume électronique futuriste et contemplative.

Contrevents oscille entre les humeurs mais c'est quand le duo refroidit l'atmosphère qu'on les préfère, comme sur la fantomatique Dreamer's Sleep, troublée de quelques percussions et notes éthérées. C'est beau parce que c'est triste, parce qu'on y savoure le mélange entre l'angoisse provoquée par les percussions organiques et la mélodie plus résignée. Alors que l'on croyait pouvoir se détendre au début d'Eau-Forte et sa rythmique presque dansante, la deuxième partie du morceau impose un ton funèbre fait de nappes graves comme pour nous dire "voyez les décombres du cimetière qui nous sert de monde".

La lumière filtre, bien sûr, Contrevents aime les nuances... mais on note que la tendance de cet EP est plutôt à l'assombrissement du propos. Les morceaux commencent dans la contemplation et une forme d'apaisement pour muter, au fur et à mesure qu'ils se développent, vers des formes plus chaotiques, voire oppressantes, leur âme étant épaissie notamment par une guitare qui donne corps à leurs angoisses. Le final de Dislocation illustre d'ailleurs bien cette façon de faire avec ce son qui s'étouffe et conclue le disque sur une note bien pessimiste. Avec élégance, Contrevents joue des contrastes entre une froideur synthétique presque rassurante, polie, et les dissonances qui viennent troubler le calme comme autant de manifestations anxieuses pour créer un ensemble où l'imaginaire de l'auditeur peut se laisser aller. Voilà de bien beaux fantômes synthétiques que l'on est ravis d'accueillir dans notre grenier pour pleurer avec eux la fin du monde.