Chronique | Aux Animaux - Body Horror

Pierre Sopor 17 janvier 2024

La Suédoise Gözde Düzer est apparu dans les coins les plus sombres de notre vision vers la fin des années 2010 avec Aux Animaux, son projet solo de darkwave grandement influencé par le cinéma d'horreur. Entre temps, l'artiste s'est entourée des bonnes personnes : elle peut toujours compter sur le soutien de son compagnon Jonas Fransson, batteur chez Then Comes Silence, Doruk Öztürkcan de She Past Away lui a mixé et masterisé quelques titres et le label Manic Depression Records, indispensable pour les amateurs de frissons mélancoliques, distribue Body Horror, un premier album dont l'artwork installe déjà le décor.

Aux Animaux aime les spectres, les monstres, les rituels sanglants et connaît bien ses références. L'ambiance creepy nous enveloppe comme de l'ectoplasme gluant dès son intro "Shiningesque", Redrum, suivie de Sleep Paralysis et son rythme rapide, angoissé. Des compositions minimalistes, des tonnes de réverbérations : le chant de Düzer se mute en échos fantomatiques d'outre-tombe alors que l'électronique mène la danse. Les chuchotements de Venus Lucifer, Bela Lugosi tout en cape et crocs en intro de l'hymne aux créatures qui rôdent à après le crépuscule Night, les lamentations du thérémine sur Lost Souls (qui parle d'animaux massacrés dans les abattoirs, vous avez désormais une piste expliquant le nom du projet)... les ingrédients sont réunis pour dresser un tableau lugubre aussi délectable que glacial, saupoudré de samples issus de monuments du cinéma horrifique.

En utilisant l'horreur corporelle comme façade grotesque et théâtrale, Gözde Düzer injecte son âme en peine dans chaque piste, questionnant sa santé physique et mentale, héritière darkwave de David Cronenberg. La traversée de Body Horror est à la fois ludique pour les amateurs de terreurs et inquiétante, l'atmosphère hantée y est angoissante. Le chant, lointain, s'incarne avec plus de conviction le temps de l'introspective Devastation Song et de la théâtrale Violence in the Silence. Düzer y insuffle une émotion supplémentaire aux machines, impitoyables et sévères (les influences EBM qui transpirent avec rage de Blackout par exemple, et, toujours, cette impression de panique qui les accompagne). Elles sont le squelette (dans le placard), le chant est l'âme (errante) de Aux Animaux.

Le premier album d'Aux Animaux est un mélange de cauchemar, de séance de spiritisme et de promenade parmi les tombes : on en apprécie la beauté gothique tout en ayant conscience que les choses peuvent rapidement dégénérer. Son parfum nocturne et sa froideur sépulcrale sont enivrants. La particularité la plus frappante de Body Horror est qu'il semble venir d'ailleurs, d'une autre réalité : chaque son y est funèbre, sinistre, frappé d'affliction. L'artiste choisi l'étiquette de "hauntwave" pour décrire sa musique et on la comprend parfaitement : si vous cherchez un disque hanté pour errer l'air maussade dans l'obscurité, Body Horror se fera un plaisir de prendre possession de votre âme.