Mechanical Skin + Bad Tripes + Melinoë @ Case Ô Arts - Saint-Cyr-l'École (78) - 28 novembre 2025

Live Report | Mechanical Skin + Bad Tripes + Melinoë @ Case Ô Arts - Saint-Cyr-l'École (78) - 28 novembre 2025

Pierre Sopor 1 décembre 2025

Pour la seconde année consécutive, Saint-Cyr-l’École organise le Cyrcus Metal Fest, une soirée metal au Case Ô Arts. De là à braver les longues heures de transilien, la pluie battante de fin novembre et vérifier que nos vaccins sont bien à jour pour parcourir le 78 ? Eh bien, il y a Bad Tripes qui a fait le trajet, et ils viennent de Marseille. Ici, on aime beaucoup Bad Tripes, et s'ils ont traversé le pays pour aller à Saint-Cyr, on peut bien traverser le réseau RATP pour les retrouver à peu-près à mi-chemin entre la civilisation et Marseille. Sur l'affiche, il y avait aussi Melinoë et Mechanical Skin, deux découvertes pas forcément éloignées des bizarreries que l'on affectionne tant d'habitude.

MELINOË

D'ailleurs, il y a un signe qui ne trompe pas : les petites bougies installées sur scène, tout de suite, ça fait cosy, ça fait église, ça fait chandelier. Bref, ça dégage un truc un peu mystique et obscur comme on aime. Melinoë frime un peu : ils ont enregistré au Case Ô Arts et connaissent déjà les lieux ainsi que les us et coutumes du 78, dont ils ont arpenté les scènes en long en large et surtout en travers tout au long de l'année. Ce qui est bien quand on s'éloigne un peu des grandes villes, c'est que les propositions de concert se faisant plus rares, il y a plus de curieux qui viennent profiter des événements sans forcément connaître les artistes présents. Dans le cas de Melinoë, vu l'accueil, on se dit qu'il doit quand même y avoir quelques initiés dans le public !

Leur premier EP éponyme est sorti en 2021 et il y a tout un tas d'influences qui se retrouvent là-dedans : de l'introspection, des éclats grunge plus viscéraux, des atmosphères mystérieuses qui flirtent avec le gothique (ce que le jeu de scène et la présence de la chanteuse Marie Rousseau-Brachhammer souligne), un peu de soul et quelques élans lyriques et passages plus démonstratifs. On pense pêle-mêle à tout un tas de choses très variées, de Queen Adreena à Messa (oui, en effet, difficile d'imaginer grand écart plus acrobatique), avec quelques pesanteurs doom sinistres aux nuances très réussies (Shades) et des nappes de drone qui font virer le plafond métallique de la salle.

La musique de Melinoë réussit à associer la mélancolie et un certain groove, les émotions à quelques fulgurances techniques... Nous, on les préfère quand ils laissent les tourments prendre le dessus et que les inspirations horrifiques et lugubres hantent les enceintes du Case Ô Arts. On imagine alors ce que pourrait donner ce côté rituel dans un décor moins moderne et lumineux, éclairé uniquement à la bougie pour de vrai : ouais, c'est sûr que ça aurait fière allure. Enfin, on ne va pas se réinventer, hein : donnez-nous des caveaux et des bougies, on sera heureux. En attendant, l'univers atypique de Melinoë permettait une entrée en matière élégante pour les curieux attentifs.

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BAD TRIPES

Aux chiottes l'élégance. "Comment ça va, Saint-Quentin ?" lance Hikiko Mori en arrivant sur scène... On frôle l'émeute dans le 78. Bad Tripes, c'est zinzin, on ne sait pas trop où donner de la tête : tout le monde est flamboyant, il se passe toujours un truc sur scène. Des mimiques démoniaques ? Ouais ! Des vêtements qui tombent au fur et à mesure du concert ? Ouais ! Du... feu ? On n'osait pas demander, mais des jets d'étincelles imprévus surprennent le public et le groupe. Ouais, ça va être un "Saint Cyrque". Avec sa lourdeur martiale piquée au metal industriel, sa frénésie punk et sa théâtralité horrifique, Bad Tripes est jouissif et immédiatement accrocheur.

Alors c'est rigolo tout ça, la hargne de Brûle-moi si tu Peux, la fiesta solaire de La Madrague des Macchabées, les références à Franju et Craven des Yeux Sans Visage et Fuck Me Freddy, avec sa célèbre comptine détournée. Mais Bad Tripes, derrière les joyeuses éviscérations, c'est également un univers aussi cruel que la vie elle-même, où les vraies morts pointent le bout de leur nez entre deux punchlines, avec des textes qui rendent hommage aux fracassés, aux oubliés, aux difformes, aux paumés, bref, à vous, nous, et tous les autres. C'est peut-être la plus grande force du groupe : derrière l'outrance, les avalanches de gros mots dégueulés qui font tellement de bien, derrière l'attitude tapageuse, il y a cette âme sensible, cette voix donnée aux gens qui n'en ont plus, cette rage désespérée qui n'en est que plus touchante, puissante et d'une grâce poétique assez unique, là, entre deux types à moitié à poil couverts de maquillage et trois grimaces. La Vie la Pute et son rap qui évolue en rouleau-compresseur impitoyable, Afro Girl ou Valya sont de ces moments où le théâtre n'atténue pas l’authenticité, au contraire, il ne fait qu'en souligner tout le tragique. 

Bad Tripes nous colle la tronche dans le caniveau, on ouvre la gueule et on avale goulûment tout ce qui nous arrive dessus. Dans le public, on se marre bien. Il y a des activités, du genre se mettre accroupi et sauter (pfff, genre on a l'age), y'a aussi un moment comme ça où, sous les yeux amusée d'Hikiko Mori, la foule se lance dans un mélange bizarroïde de "circle-pit, wall of death et chenille" hybride. Bad Tripes ne joue presque que des titres de ses deux derniers album, à l'exception de l'Ennemi Public numéro 1. Les Rendez-vous de la Bête, wouhou, Gretel et ses paroles qui font autant de bien qu'un verre de clous rouillés qui nettoie tout en passant ("alors petit papa si t'as un peu d'décence, veux-tu bien s'il te plait entrer dans c'putain de four ?"), la tempête Schlass et Paillettes... c'est toujours aussi fun, vivant et communicatif. 

Le guitariste Seth finit dans le public, June et Sir Mac Bass échangent des regards amusés, les lignes de chant de Paprika contrebalancent les rugissements d'Hikiko Mori, les deux formant un duo complémentaire et complice immédiatement attachant, on se trémousse sous les spots, c'était génial. Un chaos ludique mais avec une âme et des tripes, un truc à la fois drôle et sincère que l'on peut apprécier de différentes manières, une proposition forte, décalée et unique autour du metal indus. On ne les voit absolument jamais en région parisienne et il serait temps que ça change de ce côté-là, histoire que nous, les snobs de là-haut, on puisse aussi profiter de ce trésor qui pue, qui colle, qui gueule. Bad Tripes, c'est absurde, de toutes les couleurs, imprévisibles, fou, douloureux, cruel, sale... bref, c'est la vie, quoi.

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MECHANICAL SKIN

L'an dernier au Cyrcus Metal Fest, il y avait Mechanical Skin. Cette année, au Cyrcus Metal fest, il y avait Mechanical Skin. Des trois groupes à l'affiche, on doit bien avouer qu'il est celui dont l'univers colle peut-être le moins avec notre ligne éditoriale : du gros rock bien lourd croisé à du gros metal bien lourd, avec quelques assauts thrash, des influences qui vont de Stone Sour à Gojira, bref plus un truc de stade que de cryptes ! C'est aussi peut-être ce que le public "metal" au sens large et en général s'attendait le plus à voir dans une affiche estampillée "metal fest".

Du coup, forcément, il y a de nouveau de l'ambiance, bien que Mechanical Skin commence son set après 23h30. Le chanteur Pit a le bras en écharpe mais un bras mécanique orne son pied de micro... hey, vous croyez qu'ils vont nous reconstruire un T-800 en se mutilant chacun une partie du corps ? Ça, ça serait cool, mais un brin inquiétant ! Le groupe n'a pour l'instant sorti qu'un EP et le concert commence avec son dernier titre, Into A War. Le titre est de circonstance, c'est martial, rentre-dedans, texte scandé, refrains fédérateurs, sentiment d'urgence... Mechanical Skin aime les hymnes vindicatifs plein d'énergie mais laisse également la place à des parties plus nuancées, où le metal vlan-dans-les-dents mute en un rock mélancolique en voix claire (Break Up the Shadows). Si les formules sont classiques, elles sont maîtrisées.

Un album arrive, teasé tout d'abord avec le morceau Pray the Shadow. Tant mieux, parce qu'avec seulement l'EP Before I Die à jouer, on se serait couchés tôt ! Là, ça va, si vous cherchiez une salle de sport encore ouverte à Saint-Cyr à minuit, il fallait venir au Case Ô Arts, y'a des gars musclés sur scène, on transpire dans la fosse, les gens hurlent, se rentrent dedans, se pètent la gueule, bref, manifestent leur joie selon des rituels qui, contrairement aux apparences, ne sont pas propres qu'aux Yvelines. Et si on en faisait une tradition, tiens : l'an prochain, pour sa troisième édition, le Cyrcus Metal Fest ferait bien de réinviter Mechanical Skin, ça ferait plaisir aux gens du coin !

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Pierre Sopor

Rédacteur / Photographe