CARPENTER BRUT : vous allez y passer et c'est de votre faute

CARPENTER BRUT : vous allez y passer et c'est de votre faute

Pierre Sopor 23 août 2025 Maxine & Pierre Sopor

La célébrité et les chichis, très peu pour lui. Pendant des années, Franck B. Carpenter demandait à ce que son visage ne soit pas pris en photo en gros plan lors des concerts de Carpenter Brut. Silhouette caractéristique que l'on voit surtout derrière son pupitre, presque caché par ses lunettes noires et sa barbe, il s'est forgé la réputation d'un mec discret qui se fiche pas mal d'attirer les projecteurs sur sa personne, préférant se planquer à l'ombre de son projet, peinard.

Quelques heures avant son concert au Motocultor, nous avons pu lui poser quelques questions. On a eu droit à dix-huit minutes, pas une seconde de plus : il enchaîne les entretiens, alors on n'allait pas mettre le bazar dans son planning !

On connaît son franc parler mais on doit bien avouer qu'on ne l'imaginait pas si bon client : le temps est compté, on zappe les présentations (on sait qui il est, lui aura oublié qui nous sommes l'instant d'après alors, vraiment, pas de chichis !) pour lancer l'enregistrement. On a pu commencer à lever le voile sur son album à venir, troisième volume de la trilogie entamée avec Leater Teeth racontant l'histoire de Bret Halford, évoquer son rapport aux concerts et à la nostalgie. Le regard vif, le débit mitraillette et l'humour acéré, Franck a échangé avec une spontanéité et une générosité rafraîchissante, au point qu'on lui aurait bien tiré les vers du nez plus longtemps tant chacune de ses réponses nous donnaient envie de le relancer. Une prochaine fois, peut-être ?

Ta prochaine tournée s'appelle The End Complete. On se doute qu'il s'agit de la fin de la trilogie entamée avec Leather Teeth. Comme tu as voulu raconter ton slasher, est-ce que c'est comme tous les slashers, où on te dit que c'est le dernier épisode, mais qu'il y en aura encore au moins quatre derrière ?
En fait, il y a une partie de moi qui a envie d’arrêter les concerts, c’est une telle galère technique… Tu sais j’ai toujours voulu avoir du matos, pas juste pour avoir du matos mais pour avoir un show qualitatif, des lights des écrans LED, etc... Les prix ont tellement gonflé que ça devient de plus en plus compliqué de rester équipé comme on le voudrait avec des prix qui se multiplient par deux, trois ou quatre alors que ton prix de vente lui n’a pas quadruplé. Si tu augmentes trop le coût des billets de concerts en salle, les gens ne viennent plus parce qu’il n’y a rien qui suit derrière, tout augmente mais pas les salaires. Donc il y a une partie de moi qui a un peu envie d’arrêter les tournées. En même temps, je me dis que quand même, c’est cool aussi… Je suis un peu comme Michel Sardou, tu sais, qui dit «en 2006 c’est fini », puis « en 2010 c’est fini », et en fait il n'arrête pas ! Je pense qu’on ne peut pas vraiment arrêter comme ça non plus, alors c’est dur. C’est chiant parce que j’ai envie de faire des spectacles dans lesquels les gens kiffent ce qu’ils voient alors que là, tu paies le même prix qu’avant mais tu as deux fois moins de matos… en plus, parfois tu peux perdre de l’argent ! Alors si c’est pour perdre de l’argent, quel est le bilan ? Tu as moins de matériel, tu n’as plus de thunes… Les gens vont-ils économiser toute l’année pour faire un gros festival et voir tout le monde ou vont-ils se déplacer encore dans les salles pour voir les groupes ? Les gens font en fonction de leurs moyens. Pour répondre à ta question sur le titre The End Complete, c’est une porte ouverte que je me laisse en me disant que voilà, si je ne reviens plus, c’était marqué... et si je reviens, ça veut dire autre chose et tu verras à la sortie de l’album !

Jusqu'où le fait de scénariser comme ça ta musique t'amène à "scénariser" la suite de Carpenter Brut ? En d'autres termes : es-tu du genre à préparer tes prochains albums dans un coin de ta tête et as-tu déjà pensé à la fin de ton projet ?
Non, j’ai d’ailleurs vu que Dave Mustaine avait annoncé son dernier album et la fin de Megadeth et c’est quand même couillu de se dire « allez, je crois que là c’est fini ». On dit que les groupes qui ont 72000 ans et qui continuent à monter sur scène comme Mötley Crüe ne sont plus bons à rien, chantent comme des merdes à moitié en playback et tout... mais même s’il y a une question de thunes aussi, je ne sais pas si tu peux vraiment arrêter comme ça ta passion du jour en lendemain juste parce que tu te dis que tu es trop vieux, alors qu’on est jamais vraiment assez vieux. Je ne suis pas encore assez vieux pour avoir déjà prévu la fin de ce projet ! Je ne sais pas trop ce que l’avenir me réserve... peut-être aussi qu’un jour les gens en auront ras-le-bol de Carpenter Brut car ils voudront écouter autre chose et dans ce cas, ça ne servira plus à rien que je continue. Mais je pense qu’il y aura toujours deux, trois mecs pour kiffer ça. Prenons les choses dans l’ordre avec la sortie de l’album.

Un cliché veut que dans les trilogies, le deuxième épisode soit toujours le plus sombre. Ou nous emmènes-tu avec le troisième ? Peux-tu nous en parler ?
Oui ! Je vous emmène en 2077. C’est comme dans Cyberpunk 2077 mais aussi parce que je suis né en 1977 et qu’en 2077, j’aurai 100 ans. Enfin, je ne les aurai pas mais j’aurais pu les avoir ! J’ai donc placé l’action à peu près à ce moment-là, ce qui fait aussi un clin d’œil au jeu que j’aime bien et auquel je joue pas mal, qui se passe dans un monde totalitaire. C’est aussi une référence au film de George A. Romero, le quatrième avec les zombies qui commencent à prendre conscience de qui ils sont, Land Of The Dead. Je me suis inspiré de ça mais en le plaçant dans un monde futuriste.

C’est marrant parce que dans les séries de slashers il arrive toujours ce moment ou le mec devient un mort-vivant qui va dans l’espace ou un truc comme ça, comme Jason dans les Vendredi 13 par exemple...
Ah je ne l’ai pas vu, celui-là ! Si tu veux, dès que ça dépasse deux ou trois films, je me demande si ça vaut vraiment le coup que je me fasse chier à les regarder ! J’ai vu que les Vendredi 13, ça devenait n’importe quoi. Ça peut être drôle mais à un moment, est-ce que tu as vraiment le temps de rigoler avec ça ? Il y a tellement de bons films à regarder… Non, Bret Halford n’est pas un zombie qui va dans l’espace, d’ailleurs il est toujours vivant en 2077 car il a été retrouvé dans une chambre froide puisqu’à la fin de Leather Terror il est enfermé dans une chambre froide.

Oui, exactement comme Jason Voorhees au début de Jason X ! Peux-tu nous parler de sa direction musicale maintenant ?
Il sera 100% instrumental, pas de featuring, plus electro… Je ne dirais pas qu’il est plus sombre, on me dit qu’il est plus dansant, plus « la la la » : il y aura plus de parties que tu pourras chanter sous ta douche. Je l’aime bien, il n’est pas mixé mais j’ai fini de le composer il y a un jour ou deux, et j’en suis content. Je ne suis pas le seul à juger, donc j’espère avoir plein de petites étoiles dans les magazines !

Nous on ne met pas d'étoiles !
Ah, vous faites comment alors ? Des notes comme à l'école ou des ronds de couleur ?

Non plus. Il faut tout lire !
Ah mais non, c'est nul ! Moi je regarde juste la note à la fin !

Il y a un paradoxe que je trouve intéressant : quand tu as commencé à sortir de la musique à peu près à la même époque que Perturbator ou, dans un registre totalement différent, Ghost. Il y avait un côté "faire danser les métalleux" et leur faire accepter à nouveau les paillettes et le kitsch, d'une certaine manière, avec une esthétique rétro et des symboles sataniques. Avec le temps, ta musique est devenue plus sombre et violente, et d'ailleurs Perturbator s'est aussi pas mal assombri. As-tu un regard sur cette évolution ?
Pour ma part, si j’ai fait Leather Teeth comme je l’ai fait en 2018, c’est suite aux attentats en 2015 au Bataclan. Je n’étais pas dans le délire violence alors je me suis demandé quelle était la période musicale pendant laquelle les gens s’amusaient, faisaient encore la fête dans le metal. Pour moi c’était le glam avec justement Mötley Crüe par exemple, et je suis parti de ça : l’histoire d’un gamin amoureux d’une cheerleader. Il fallait que ça suive une histoire avec à un moment l’idée d’une revanche, l’idée d’un serial killer… ça allait avec la période. En ce moment, même si j’essaye de ne pas faire de politique avec Carpenter Brut parce que ça ne regarde que moi, je suis plus dans un mood où je voulais mettre deux, trois capsules concernant les extrêmes actuellement sur Terre. Tu vois, dès que je commence à parler de politique, ça pue la merde !

Par « extrême » j’entends ceux de tous les camps, pas forcément politiques, ceux qui se comportent comme des cons, ceux qui sont agressifs avec tout le monde, etc. J’ai essayé d’avoir une vision plus globale de ce qu’était le monde à savoir une espèce de compétition entre ceux que je nomme les « puissants » dans l’album. Il s’agit des ultras-milliardaires comme Elon Musk, par exemple. Ils ont une certaine forme de talent mais deviennent aussi complètement mégalos et malades parce qu’il sont au-dessus de tout le monde avec pas grand chose qui peut les arrêter. Quelle est l’étape d’après avec ces gens-là ? Au début, en tant que geek, tu kiffes et tu te dis « wouah les Teslas sont cools ! ». Et puis quand tu vois ce que le mec devient… déjà, il a gaspillé une idée qui était mortelle, et en plus c'est devenu une merde ! Mais une merde, ça devient quoi avec la plus grosse fortune du monde ? Les gens aiment bien quand c’est polarisé mais dans la vie je suis quelqu’un de beaucoup plus mesuré !

Ça veut dire que tu arrives, malgré cet univers très scénarisé, à mettre un peu de toi et de tes émotions dans ce projet ?
Eh bien, je n’ai jamais été tueur en série… pour l’instant ! Mais tu sais, à chaque fois que tu racontes une histoire, c’est fatalement une histoire qui te touche d’une certaine façon. Soit l’histoire te rappelle un film que tu aimais bien quand tu étais petit, soit ce sont des questions que tu te poses par rapport à ta famille ou tes gamins... N’importe quel artiste a toujours quelque chose à dire et c’est souvent relié à un plaisir ou à une peur. Sinon, hormis ça, il n’y a pas grand chose à raconter : si le mec te raconte juste qu’il est venu en Bretagne et qu’il a fait le plein d’essence sur la route… tout le monde se fait chier ! Il faut bien qu’il y ait une forme un peu personnelle et qui vienne des tripes ou du cœur quand tu racontes une histoire.

Ton univers est très imprégné de l'imaginaire hollywoodien. As-tu déjà imaginé ce que cela donnerait si tu le transposais en France ?
Ce serait ridicule ! Quels sont les films français de science-fiction ou d’action des années 80 qui nous ont marqués ? À part la Soupe aux Choux ou Terminus avec Johnny Hallyday? Parce qu’il est là mon univers ! Il n’y a rien, donc c’est impossible !

Es-tu quelqu’un de nostalgique?
Je l’ai été quand j’ai commencé à voir le monde devenir de la merde jusqu'à arriver à un âge où je m’en bats les couilles ! Tant pis pour vous, en fait, si vous êtes stupides ! Ce n’est ni ma faute ni mon problème. Maintenant j’en suis plutôt à me démerder seul dans mon coin. Quand tu vois les gens sur TikTok qui font des trends dans lesquels ils se crament la peau pour faire croire qu’ils sont bronzés… écoutez, vous allez y passer et c’est de votre faute, pas de la mienne ! Au début tu penses encore pouvoir changer les choses mais il y a trop d'abrutis sur terre, on n'y arrivera jamais.

Donc la nostalgie n’est pas tant artistique ?
Il y en a une parce que je vois la qualité des films qui est assez décevante… et en même temps je me dis que pour un bon Retour vers le Futur ou Robocop, il y avait surement aussi beaucoup de merdes à l'époque. On a tendance à glorifier ce que l’on a bien envie de retenir et d’oublier le reste. Il y a encore maintenant des films ou des séries que j’aime comme 1883 que j’ai trouvé fantastique et qui m’a retourné, ou dans un autre style Succession sur HBO que j’ai adoré, donc il y a encore des trucs qui claquent la gueule. La nostalgie, ça peut être de ne pas retrouver les films de quand tu étais jeune mais en même temps on vieillit, on avance dans la vie, et puis les gens qui font des films maintenant sont plus jeunes que moi et n’ont pas les mêmes références. On ne peut pas tout le temps faire la même chose, de toute façon les anciens films n’ont pas disparu, on peut encore les regarder. Je trouve juste que politiquement parlant, on est dans une période un peu compliquée et qui ne me plaît pas trop.

Des générations plus jeunes, qui ont la nostalgie des années 90 et 2000, arrivent sur le devant de la scène. Est-ce que parfois tu y penses et te dis que les années 80 vont redevenir un truc ringard pour les vieux ?
Surement ! Je n’écoutais pas seulement de la musique des années 80 mais aussi celle des années 90, 2000… J’ai d’ailleurs pu me rendre compte comme tout le monde que tout ce qui sortait dans les années 2000, c’était de la merde ! L’année 91 c’est le Black Album de Metallica, Ten de Pearl Jam ou Nevermind de Nirvana… les années 2000, à côté, c’était naze ! Après, c’est à moi de faire le taff pour ne pas m'enfermer dans le même délire. Placer l’histoire dans le futur me permet de faire un petit bon musical. Je n’ai jamais été dans une musique purement années 80 avec les mêmes sons de batterie etc, je me suis inspiré de la période mais c’est plutôt un ressenti. En effet, comme n’importe quoi, ça va finir par devenir ringard !

Il y a quelques années ton univers semblait plus ancré dans une forme de réalité, avec en concert des projections d’images de banlieues ou de palmiers par exemple. Ces derniers temps, entre les visuels live plus abstraits et les connotations quasi religieuses de certains titres de Leather Terror, on sent une tendance presque plus mystique...
Concernant les visuels tout dépend de qui j’ai sous la main pour les faire. Musicalement, tu vas voir sur le dernier, tu ne vas pas être déçu ! Ou peut-être que si, justement ! Ce côté que tu trouves un peu religieux est encore plus présent à cause de la position de ce milliardaire qui se prend un peu pour Dieu. Quand j’ai fait écouter l’intro qui est assez grandiloquente à un pote, il m’a dit « tu as les chevilles qui ont gonflé ! » alors que ce n’est pas moi, c’est celui dont je parle dans l’histoire. Après je ne sais pas, je ne l’ai pas du tout perçu comme ça. Je voulais plutôt une orientation glam pour Leather Teeth, metal indus pour Leather Terror puis electro pour le troisième album.

En parlant d'indus, le hasard fait qu'à chaque fois que je t'ai vu en salle, tu avais une première partie dont je suis fan (Youth Code, Horskh, Sierra Veins, Ho99o9 et Perturbator)... À quel point connais-tu cette scène ?
Ce n’est pas une scène que je suis ni un genre que j’ai beaucoup écouté. Quand on a tourné avec Ministry aux États-Unis, même si je connaissais quelques sonorités, j’étais toujours étonné de la simplicité des morceaux alors qu'ils peuvent durer neuf heures ! Typiquement chez Ministry tu as un riff et ça dure, ça dure, ça dure… au début c’est cool, à un moment tu te fais chier, et après tu es en transe. J’ai toujours kiffé ce côté ultra-vénère avec un seul riff et une voix toujours un peu saturée. J’avais un peu écouté à l’époque Treponem Pal, le truc de vieux quoi, mais ce n’est pas vraiment une scène que je connais, non. Je marche à la sonorité, plus que de connaitre tous les groupes et tous leurs albums. Par contre j’ai vu Nine Ich Nails à Paris en juillet dernier et j’ai pris une branlée nucléaire !

Tu as la réputation d'être assez discret et en live l'attention du public est plus portée sur les visuels projetés. Au fond de toi, est-ce que tu aimes te produire sur scène ?
Non… enfin, j’aime bien parce que les gens sont contents, mais moi je ne me sens pas du tout l’âme d’un showman, tu vois. Je ne suis même pas un vrai musicien, contrairement au batteur et au guitariste qui m’accompagnent ! Il me faut cinq heures pour apprendre mes parties… ce n’est pas vraiment un truc que je kiffe mais en même temps on tourne bien, on fait de belles scènes et les gens sont contents. Je tourne encore pour ceux qui ont envie de me voir, si ce n’était que moi je resterais chez moi, ce n’est vraiment pas un exercice dans lequel je suis à l’aise.

Mais pourtant on te voit bien, là, quand tu t'approches du bord de scène pour balancer des ballons de plage et diriger le public avec quelques gestes : est-ce qu'en fait tu ne serais pas un entertainer malgré toi ?
C’est parce que j’aime bien m’amuser car je ne prends pas vraiment Carpenter Brut au sérieux non plus. Je suis là pour ça, sinon j’arrête. Là, ce qui m'amuse, c’est de voir les gens s’amuser. Alors je continue, même si je pourrais faire de la musique sans faire de concerts. Mais j’aime la déconne, je pourrais à la limite être un peu beauf parfois ! La vie ça va vite et si tu la passes à faire la gueule, tu vas perdre ton temps. Amuse-toi comme tu peux !

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Pierre Sopor

Rédacteur / Photographe