Chronique | Supershotgun - The North Hollywood Heist Collection

Pierre Sopor 9 janvier 2024

Des gros pistolets ! Des muscles ! Des méchants patibulaires ! Des lunettes de soleil ! Apparu il y a environ un an, Supershotgun a tout du projet ludique, fun et pas prise de tête fait pour se dandiner comme on savait si bien le faire à la tendre époque de la Guerre Froide et du consumérisme fou. La sortie de ce premier album a été plutôt rocambolesque : après avoir défoncé à coup de savate la porte de la toile il y a environ un an (mais avec une relative discrétion tout de même : l'anticipation des fans étant plutôt tiède quand on est encore inconnu), l'artiste s'est dit qu'il était peut-être plus malin d'attendre un peu que la sauce monte pour sortir "officiellement" ce premier format long, qui est sorti pour de vrai fin 2023. Et entre temps, la sauce est plus que montée : si Supershotgun reste un artiste plutôt confidentiel pour le moment, sa chaîne YouTube pleine de montages réalisés à partie de films d'action des années 80 compte des millions de vue en seulement un an.

La recette plaît : de la nostalgie, des séries B bourrinnes, pas de prises de tête... et des paillettes. Alors que les plus grands noms de la scène darksynth française plongent plus loin dans les ténèbres, entre la dépression goth de Perturbator et l'agressivité de Carpenter Brut, Supershotgun se la joue tout en décontraction. On roule des mécaniques, on mâche du chewing-gum, on se la pète sous les palmiers et on joue à fond le jeu de cette vision fantasmé des eighties. La musique ne manque pas de basses et de beats rentre-dedans, heureusement, mais on est bien face à un divertissement assumé et jubilatoire, un jeu de massacre coloré et amusant.

Les intros sont réussies et nous plongent efficacement dans l'univers des morceaux, que ce soit les indispensables mystérieuses nappes menaçantes (des méchants qui complotent dans la nuit !) ou les touches plus dépaysantes (Assaut on Koreatown). Chaque titre fait naître des images, évoque, crée une atmosphère. Supershotgun prend le temps de construire son petit monde avant d'accélérer le rythme. On apprécie d'ailleurs les petites touches d'introspection brumeuses qui s'installent ici et là (Moons Out, Goons Out, NPOA) au milieu de synthés qui piquent autant au cinéma qu'au jeu vidéo, du moment que ça sent ce curieux mélange de pop-corn et le dessous de bras. Quand on voit le soin qui est apporté à la mise en place de l'univers, on en vient d'ailleurs à regretter un brin que certains titres s'achèvent en queue de poisson !

Supershotgun garde l'efficacité en ligne de mire, disperse et ventile avec sa succession de tubes en puissance (The Baddies, tout en dynamisme et en contraste, très cool). Si la palette sonore présente sur l'album n'est pas encore d'une grande diversité, il n'est pas nécessaire d'en faire plus pour faire mouche. Supershotgun réussit cet équilibre périlleux de jouer les gros durs tout en jonglant avec le kitsch et de faire naître une forme de poésie au milieu de fusillades, comme on fait naître un haïku de boyaux sanglants agonisant sur des feuilles pleine de rosée au petit matin. On ne s'ennuie pas, The North Hollywood Heist Collection défile à toute allure et on en ressort satisfait comme après un repas trop gras, trop sucré ET top salé.

On repense alors à ces vidéos sorties de nulle part qui cartonnent, à cette sortie d'album au schéma promotionnel pas franchement orthodoxe, à la communication de l'artiste qui reste dans son personnage, à cette passion communicative qui transpire en live : Supershotgun, c'est du plaisir avant tout, pour l'auditeur mais aussi l'auteur qui s'éclate avec ses compos. Surtout, avec son approche sincère, enthousiaste, généreuse, en toute simplicité et dénuée de cynisme, Supershotgun a toutes les armes (rires neuneus) pour progresser et grandir. Il n'y a pas besoin de révolutionner un genre pour y apporter un peu de fraîcheur !