Chronique | SheWolf - Sorry, not Sorry

Pierre Sopor 13 février 2018

En très peu de temps, les filles de SHEWOLF (désormais au nombre de trois) ont su nous convaincre avec leur grunge rageur tout en nuances qui sent bon le fait-maison, la sueur et la névrose. Sorti un an jour pour jour après un premier EP dont il n'a gardé aucun titre, Sorry not Sorry est le premier album du trio et l'antidote parfaite aux niaiseries de la Saint-Valentin. 

La tension monte dès l'Intro, comme un cri se frayant un chemin le long des cordes vocales avant que celles des guitares de Your Sting, My Needle ne le fasse enfin jaillir vers la fin du morceau. Colère et langueur se succèdent, entre les couplets désabusés et les refrains furieux aux paroles presque inarticulées qui finissent par se répéter en boucle. Il n'aura fallu qu'une poignée de minutes pour que le pétage de plombs nous recroqueville sur nous-même dans un coin de notre esprit, et que l'on se retrouve prostré dans une posture révoltée adolescente si viscérale et jouissive entre repli sur soi et démonstration d'émotions exacerbée. Childhood et son refrain ajoute au rugissement une charge critique envers un paquet de trucs idiots et puants (racisme, homophobie, misogynie), ancrant SHEWOLF dans une démarche revendicative contre l'intolérance et le patriarcat bienvenue qui s'affirme à plusieurs reprises, et même en français avec la plus punk et ironique Au Nom du Pair. Grâce à des formules bien écrites et bien tournées qui claquent, ça marche du tonnerre. "Je suis un mec responsable, sérieux, solvable, pour te faire oublier qu'au fond je suis un mec minable", le message est clair.

Mais SHEWOLF, ce n'est pas que des explosions de rage et c'est bien souvent la mélancolie qui domine, comme avec l'enchaînement de Under the Weather et Would You Stand It d'où se dégagent une forme déglinguée de poésie, une douceur amère mais aussi une impression de danger tant on sent que la tempête contenue par ces accalmies passagères ne fait pas moins rage. Entre retenue et explosion de folie, ce premier album est un grand huit schizophrène, imprévisible et instinctif, utilisant la musique pour exprimer sans filtre des émotions brutes (Apology, par exemple, semble sortir tout droit des tripes des trois musiciennes pour être retranscrite immédiatement en bruit et fureur). Et, paradoxalement, c'est dans ces grands écarts que l'album trouve son équilibre, ses nuances. Il suffit d'un son de basse chaud et rassurant par-ci (Handsome Like A Girl), d'une guitare apaisante par-là (Baby Blues) pour donner à cette rage tout son relief, et offrir à Sorry, not Sorry une âme et un souffle qui permettent à cet ensemble de vivre de manière cohérente.

Sorry, not Sorry est un disque qui transpire de vie et d'énergie, et peut-être qu'il n'aurait pas été aussi vivant sans son côté Do It Yourself, qu'il n'aurait pas été aussi fou et attachant s'il avait été plus cadré, plus contrôlé. SHEWOLF lâche prise et nous propose une musique radicale, touchante dans sa sincérité et le travail acharné qu'on sent derrière. Le grunge n'est pas mort avec les années 90, ou peut-être que si mais qu'on s'en fout parce que les étiquettes c'est pour les cons. Cet album, presque anachronique, est une étincelle de vie et d'honnêteté dans un paysage musical "rock" bien trop sage et convenu, un plaisir régressif dont on aurait tort de se priver.