Chronique | Shaârghot - Vol. 2 : The Advent of Shadows

Pierre Sopor 15 janvier 2019

Vous avez survécu au teaser qu'était l'EP Break Your Body ? Il vous reste des tympans et de l'énergie pour la suite ? Si oui, c'est que vous n'avez pas assez écouté la discographie de SHAÂRGHOT. Mais c'est bon, on ne vous en voudra pas. Vol. 2 : The Advent of Shadows arrive enfin et, avec lui, la promesse de retrouver ce mélange déjanté de metal industriel et de dark electro, ce son à la fois violent, démentiel, irrésistible et cet univers fictionnel apocalyptique mis à nouveau en image par Lyan. SHAÂRGHOT a bien grandi ces dernières années, devenant petit à petit un incontournable sur scène (et vous savez, contourner un nain sur scène c'est pas toujours simple), mais il restait à confirmer tous les espoirs qu'on y plaçait depuis le début avec ce deuxième album.

Miss Me ? demande le premier morceau, intro qui nous plonge d'entrée dans le monde chaotique du Shaârghot, cette créature incontrôlable rendue folle par des savants mal intentionnés. L'ambiance est à la guerre civile, la tension monte très haut en très peu de temps alors que des percus théâtrales et grandiloquentes assurent la transition avec Black Wave. "We are the Shadows" nous braille la bestiole histoire de lancer les hostilités sous le signe du collectif : désormais, c'est à une véritable ruche que l'on a affaire. Le morceau, lui, est une tornade frénétique de rage, un des plus énervés composé par SHAÂRGHOT, pourtant habitué à la méga-bagarre. La décharge d'adrénaline est immédiate, ça colle une patate d'enfer et c'est absolument jouissif ! Now Die, ses percus tribales et sa rythmique martiale est toute aussi efficace. En plus on croirait entendre "MOCHE ! T'ES MOCHE !" dans la dernière partie, ce qui promet des moments bien débiles en concert. Le travail sur les percussions a toujours été remarquable dans SHAÂRGHOT, apportant une texture et un corps à cet univers : on est alors surpris par le son de Wake Up, plus organique et son chant rugueux. Il s'en dégage une urgence très punk rafraîchissante, un côté rock'n'roll nouveau. Alors qu'on arrive au premier tiers de l'album, on est rassurés : non seulement SHAÂRGHOT n'a rien perdu de son savoir-faire quand il s'agit de nous secouer très fort et de nous balancer en pleine tronche des gros morceaux fédérateurs irrésistibles, mais en plus le son du groupe continue de s'enrichir, de se varier et de se parer de petits détails. 

Doit-on reparler des morceaux du précédent EP ? Allez, ça ne fait pas de mal. Doom's Day, avec sa lourdeur et son ambiance de fin du monde est monumentale. Break Your Body, avec sa méchanceté et son beat imparable est une tuerie comme le genre en propose trop rarement. Même après un millier d'écoutes, ces riffs de guitare bien gras viennent toujours autant nous remuer les tripes, l'agressivité sauvage et disproportionnée du morceau est toujours aussi communicative. L'univers de SHAÂRGHOT a toujours été étoffé, mais sa dimension narrative est ici plus développé : The Advent of Shadows affiche une cohésion que n'avait pas son prédécesseur, ménage quelques pauses via des interludes et pistes instrumentales (Regrets) mais aussi des passages plus lents. Mélancoliques, même. Les cris de désespoir de Z // B, aux ricanements et bruitages inquiétants évoquant un grouillement insectoïde et industriel à la fois, annoncent une deuxième partie d'album moins rigolarde, marquée par la rancœur. Le chant est plus guttural et distant sur K.M.B., les guitares plus menaçantes. Kill Your God, que l'on connaissait aussi depuis un moment, est le dernier déchaînement furieux de violence de l'album, dont la dernière partie est clairement plus sombre, dépressive presque. Plus apocalyptique que jamais, le son est énorme, écrasant sur Rage et ses côtés psytrance. Le Shaârghot hurle, la guitare gémit, la douleur qui s'en dégage est saisissante. Ce n'est pas le final de l'album, Shadows, qui apportera une éclaircie. Des chœurs proclament "we are the Shadows", répondant aux premiers mots qui lançaient The Advent of Shadows, confirmant cet aspect collectif dont on parlait plus tôt. Comme sur Vol. 1 avec We Are Alive, ce deuxième album de SHAÂRGHOT s'achève sur un titre plus lent, à nouveau fédérateur, puissant et hanté. Et puis il y a cette guitare à la Coma Black de MARILYN MANSON qui apporte une émotion nouvelle dans la fin du titre, avec un solo sobre et pertinent, un truc qu'on n'avait pas encore entendu chez SHAÂRGHOT. Le monde s'effondre, le trône du SHAÂRGHOT est fait de ruines et de cadavres, son triomphe est amer et funèbre.

Quand on parle de SHAÂRGHOT, c'est facile de faire des blagues : la musique donne envie de bouger, c'est super fun, il y a toute cette violence ludique et cet humour noir qui va avec... Mais parfois, il faut savoir fermer sa grande gueule et admettre, sonné, qu'on a pris une grosse claque. Tout d'abord parce que The Advent of Shadows est vachement moins rigolo et bien plus méchant que le premier album... Et puis parce que mine de rien, ce que propose le groupe est assez unique. Derrière les gimmicks, derrière l'éclate, il y a une musique puissante, d'une richesse trahissant un travail acharné et méticuleux, une production impeccable et un univers cohérent. Ce que SHAÂRGHOT propose avec ses clips qui ressemblent à des blockbusters et ses shows déments plein de bricolage et de récupération est la preuve d'une passion, d'une créativité, d'un dévouement et d'une générosité rare qui ne peuvent que forcer le respect. Tant que le groupe suivra ce cap, il continuera de grimper et on le suivra avec plaisir.