On ne vous cachera pas que quand Mat McNerney annonçait se lancer dans un nouveau projet post-punk, notre intérêt était piqué : qu'est-ce que le chanteur de Hexvessel pourrait bien proposer qui s'éloignerait suffisamment de Grave Pleasures, son autre groupe, pour justifier la naissance de cette entité ? Avec son nom, Scorpion Milk rappelle d'ailleurs étrangement l'ancienne identité de Grave Pleasures, autrefois nommé Beastmilk... c'est donc avec curiosité et une certaine excitation que l'on se plonge dans Slime of the Times.
Il y a autre chose qu'on ne vous cachera pas, c'est que peu importe le genre ou l'étiquette, Mat McNerney peut chanter ce qu'il veut, nous serons conquis par son timbre si particulier. Pour ce qui est de la légitimité de Scorpion Milk par rapport à Grave Pleasures, tous nos doutes sont dissipés bien rapidement : l'approche est ici bien plus frontale, plus intense, plus rentre-dedans... bien que l'on y reconnaisse la même toile de fond apocalyptique. Ici, la fin est proche et l'urgence prend le pas sur la vague nostalgie douce-amère imprégnée de guerre froide et de cold wave des années 80 qui caractérisait le très bel album Plagueboys. Bien qu'accompagné de Tor Sjödén (Viagra Boys) à la batterie et de Nate Newton (Converge, Cave In) à la basse, McNerney est seul compositeur ici et a donc les mains entièrement libres pour laisser libre cours à ses angoisses, sa rage et sa poésie crépusculaire.
On est d'ailleurs surpris de voir comment All the Fear (That Money Can Buy) (à laquelle participe le batteur de Killing Joke Big Paul Ferguson) contient quelques traces de l'ADN black metal de leur auteur, que ce soit dans cette guitare sinistre qui ouvre l'album ou les cris qu'il laisse échapper, allant paradoxalement plus loin qu'avec Hexvessel qui assume plus ouvertement les influences extrêmes de l'artiste (il fut également la voix de Dødheimsgard). La vision du post-punk de McNerney est imprégnée de metal gothique et, s'il connaît ses classiques, il leur impose également une modernité et une liberté rafraichissantes : Scorpion Milk rend hommage aux maîtres et il y a clairement du Killing Joke (encore eux) dans les riffs de The Will to Live. Mais surtout, avec sa foule d'influences et la créativité de McNerney, Scorpion Milk propose une personnalité forte, une vision profondément personnelle et singulière.
C'est à partir de She-Wolf of London que l'album décolle pour de bon, s'éloignant des formules accrocheuses pour nous piéger dans ses brumes. On frissonne avec plaisir en retrouvant toute l'affliction du chanteur, son ton de narrateur inquiétant dont la voix semble contenir tous les mystères dissimulés par les ténèbres. Cependant, bien que son humeur semble s'y prêter, pas question de doom ici : le monde s'effondre mais Scorpion Milk nous donne de quoi danser et même de quoi s'amuser un peu. Rythmique entraînante, atmosphère de vieux film fantastique que Will Gould de Creeper aide à planter et qui renvoie à la décomposition gluante qu'évoque le titre de l'album... quand Scorpion Milk se détend, c'est pour jouer avec une imagerie horrifique grotesque et théâtrale ou nous faire fêter l'apocalypse.
Slime of the Times alterne entre fausse légèreté ironique et une pesanteur qui flirte avec l'industriel (Wall to Wall ou le morceau-titre ont des airs de Ministry qui aurait embrassé définitivement ses racines goth), McNerney signe quelques nouvelles lignes de chant irrésistibles chargées de mélancolie et de menace comme lui seul sait faire (All Snakes No Ladders) et mélange une approche brute et spontanée à son écriture poétique typique. Sa conclusion spectrale Children Are Dust laisse alors l'auditeur hanté par les souvenirs d'un monde qui s'effondre, certes, mais aussi la satisfaction d'avoir une nouvelle bande-son à cette fin du monde. Plus hargneux et dépouillé que Grave Pleasures, Scorpion Milk nous apparaît alors à la fois comme son prolongement et son antidote. Le venin du scorpion ne manque pas de piquant