Chronique | Salò - L'appel du Néant

Maxine 5 mars 2024

Après l'EP Sortez Vos Morts paru en 2021 Salò, projet de black metal nuancé d'indus et de crust ressort de l'ombre avec son premier format long : L'Appel du Néant, sorti le 23 février dernier. "Cet album n'est pas fait pour être adoré" nous dit-on. Mais peut-on aimer quelque chose qui n'est pas fait pour l'être? Peut-on affectionner une création qui se veut le reflet du malaise, de la honte, de la laideur ou de l'hideuse humanité et qui pour en être le miroir doit forcément être repoussante et distordue elle aussi ?

La question se pose bien sûr dès la première écoute, les premiers sons sortant de nos enceintes n'étant pas de la musique mais le début d'une agression enregistrée. On comprend que cet album sera une créature polymorphe qui prendra la forme affreuse de tous les vices de notre espèce sur fond de mélodies dissonantes d'une intensité à son maximum du début à la fin. Les guitares sont étouffantes à l'image des oppressions, comme les cris de HCT au chant sont aussi désespérés que ceux des victimes.

Ainsi en tant qu'auditeur, on s'enfonce dans une lourdeur sonore angoissante sur fond par exemple de machisme pour Un homme ça ne s'empêche, ou on s'enlise dans des tranchées haineuses sous des samples faisant cliqueter leurs fusils en visant les têtes sur J'affronte la Mort (qui invite Diego Janson de Karras pour l'occasion) et sur le très violent Il Faut qu'il Crèvent qui nous noie dans le sang à coup de riffs dévastateurs. L'album est une boule de nerf incontrôlable qui ne se calme que pour laisser parler ses nombreuses références littéraires ou cinématographiques (1984 de Georges Orwell sur Liberté Surannée par exemple, qui nous dépeint un avenir privé de libertés aussi sombre qu'irrémédiable).

Cette vision de notre société actuelle ou future qui est d'une noirceur dégénérescente infinie, nous amène vers une fin du monde certaine et c'est avec une brutale mais très belle mélancolie que ce gouffre dans lequel gisent nos fantômes cadavériques se referme sur les deux derniers morceaux (Et Pourtant J'essaie et La Cendre et le Sang) sur lesquels Marion Leclercq (Mütterlein) vient poser ses hurlements d'un autre temps d'une beauté pétrifiante.

Cela suffira à répondre à notre question première : oui, on aime définitivement se perdre dans cette obscurité sans fin d'une violence abyssale. Ça défoule, ça révolte, ça sert d'exutoire et c'est beau alors si ça peut nous aider à traverser le brouillard dans lequel nous sommes déjà, on ne dit pas non.