Chronique | Primordial Black - Dark Matter Manifesto

Pierre Sopor 2 août 2025

Après l'EP Monas Hyeroglyphica, les Tunisiens de Primordial Black continuent leur plongée dans l'abîme avec Dark Matter Manifesto, un premier album décrit comme explorant "des thématiques comme l’effondrement intérieur, le silence de Dieu et la matière noire de la conscience". Si vous aviez encore des doutes et que le nom du groupe ne vous suffisait pas, l'artwork de Gustave Doré illustrant la Divine Comédie ou le label marocain Darkside Records devraient vous fournir quelques autres indices révélateurs : Primordial Black n'est pas là pour rigoler. 

Mené par le guitariste et chanteur Yasser Mahammedi Bouzina, le groupe propose un mélange entre black et death metal dont la théâtralité mystique rappelle forcément Behemoth, mais avec un accent mis sur une intensité rythmique parfois martiale, à la froideur implacable aux relents industriels... On n'est parfois pas loin de Rotting Christ, avec ce goût pour l'épique et le conquérant. D'ailleurs Sakis Tolis vient donner de la voix sur Sowing Discord, un chouette clin d’œil mais dont on doit bien admettre qu'il n'apporte pas de changement radical tant l'univers de Primordial Black semble déjà cohérent avec le sien. Cela ne nous empêche pas de profiter de la flamme que ce grand monsieur porte toujours en lui et fait ici briller dans la pénombre, on n'est juste pas surpris outre-mesure quand le featuring arrive.

On apprécie en revanche d'emblée le travail sur les atmosphères, le fait que malgré des morceaux souvent menés tambour battant, Primordial Black prenne le temps de poser un univers immémorial, monolithique, mystérieux. Ils ont manifestement potassé Dario Argento, avec ce Profondo Nero en introduction qui détourne le célèbre Profondo Rosso du maître italien du fantastique avant d'enchaîner avec Mater Lacrimarum, référence explicite à son Mother of Tears (même si, à l'époque de ce troisième film de la "trilogie" composée des magnifiques Suspiria et Inferno, Dario avait perdu de sa superbe...). Diction expressive et théâtrale et accalmies évocatrices d'inquiétants rituels, un soupçon d'angoisse cosmique qui taquine la démence lovecraftienne... Primordial Black est généreux et nous en met plein la vue.

Si l'on n'échappe pas à quelques maladresses (le morceau-titre est finalement bien plus captivant dans ses parties ambiantes que dans la violence), on est facilement séduits par cette noirceur fascinante que le groupe met en place tout en dégageant une puissance, une combativité révoltée qui semble chercher à percer l'obscurité. On apprécie aussi comment la musique fait naître des images aussi bien de ruines intemporelles que de froid vide et intersidéral, les ténèbres s'affranchissant des lois du temps pour nous faire traverser les époques (les nappes futuristes d'Eidola qui servent de rampe de lancement à Iconoclast et ses secrets enfouis).

Et puis, au-delà des intentions, de la richesse de l'univers mis en place et de ces riffs qui dictent à l'exploration sa cadence, il y a l'émotion qui habite chaque morceau, une réelle ardeur. A ce titre, Primordial Black est bien inspiré de conclure avec Din of thy Celestial Birds. Les oiseaux célestes du titre sont symboles de force divine et de capacité à surmonter les défis... On en revient à la combativité évoquée plus tôt. Le résultat, hanté par les borborygmes démoniaques de Maxime Taccardi (K.F.R., Osculum Serpentis, Kyuketsuki), suinte une noirceur viscérale, malsaine et putride, qui se heurte à une mélodie qui, parfois, traverse le brouillard avant de s'achever sur des lamentations de spectres errants. Impressionnant, ce dernier titre nous laisse alors sur une excellente impression. Dark Matter Manifesto attire l'attention avec ses rythmiques martiales et ses percées mélodies mais se distingue tout particulièrement quand il assume d'embrasser pleinement ses influences horrifiques ou rituelles qui lui donnent toute sa personnalité, sa saveur, son mystère et sa dimension. 

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Pierre Sopor

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