Chronique | Ponte Del Diavolo - Fire Blades From the Tomb

Pierre Sopor 12 février 2024

Pour ne rien ternir au plaisir de découvrir le premier album de Ponte Del Diavolo, les Italiens n'y proposent aucun morceau de leurs trois EPs parus entre 2020 et 2022 : les sortilèges qui nous attendent sont donc tous inédits. Le groupe mélange la pesanteur du doom old-school à un brouillard de guitares hérité du black metal tout en ajoutant des touches gothiques et darkwave pour créer un ensemble mystique... a priori, c'est pour nous !

L'énergie qui possède les premiers instants de Fire Blades From the Tomb est étonnamment frénétique. Demone nous saute à la gorge avec rage, les racines black metal s'imposent immédiatement alors que le chant d'Elena Camusso, qui jaillit de derrière un opaque voile de réverbération, est plus proche du punk. Ce n'est pas vraiment ce que l'on a en tête quand on pense rituel occulte !  La lenteur hypnotique, la pesanteur menaçante, les silhouettes encapuchonnées, les bougies et tout le toutim viendront plus tard, dans les première secondes on se fait déchiqueter par le fruit colérique d'une invocation souterraine... Mais pas de panique : Ponte Del Diavolo sait aussi ralentir de manière drastique et ce premier titre a des airs de montagnes russes avec ses ruptures de rythme brutales.

On prend alors ce premier contact pour une mise au point : le groupe sait montrer les crocs en jouant vite et n'a pas forcément prévu d'obéir aux préjugés. Nous, on y apprécie la densité apportée par les deux bassistes mais aussi le chant. Mélanger darkwave et doom, ça marche bien : la rencontre du spectral et du terreux, de l'éthérée et de la lourdeur accablante... La voix d'Elena Camusso évoque celle de Siouxsie Sioux dans des éclats de flamboyance post-punk, prêtresse autoritaire et inquiétante. On est d'ailleurs saisi par les charmes gothiques de Ponte Del Diavolo, à l'image des suppliques de Covenant, entre rage, désespoir et ornements fantastiques (le thérémine a toujours ce pouvoir d'évoquer d'autres réalités). La lenteur séduisante de Red As The Sex Of She Who Lives In Death fait son effet : le voilà, tout le décorum mystique avec sa lenteur et sa répétitivité hypnotique, obsédante, et son intensité qui va crescendo jusqu'aux libératrices explosions black metal. C'est aussi accrocheur que satisfaisant.

Au jeu des influences, Ponte Del Diavolo cite Darkthrones, Electric Wizard et The Devil's Blood. Nous les rangerons volontiers aux côtés de Wolvennest ou de leurs compatriotes de Messa pour le mystère ésotérique, bien que ces derniers soient plus dans l'avant-garde atmosphérique. Fire Blades From the Tomb est un album plein d'énergie, grâce notamment à une batterie nerveuse qui donne aux titres un punch conquérant, au rituel toute sa hargne (Nocturnal Veil ne manque pas de mordant, Zero dégage un mélange de démence et de panique auxquelles les quelques mots d'italien se mélangeant aux incantations ajoutent une conviction ensorcelée).

Le groupe respecte ses ainés mais joue avec la recette. La menace arcanique du doom, la frénésie du black metal, les accents gothiques... Cette reprise de The Weeping Song de Nick Cave & The Bad Seeds en conclusion enfonce le clou, entre modernisation et révérence, ça a furieusement de la gueule, grâce au potentiel hymnique du morceau mais aussi sa tonalité funèbre. L'originale, qu'il était déjà difficile de se retirer des tympans, prend ici une tournure théâtrale mystique jouissive. On ressort charmé de ce rituel occulte à la fois lourd et fiévreux. Si vous avez prévu de visiter quelques temples en ruine dans les jours à venir, voici un compagnon idéal.