Dans un univers des musiques sombres où l'on travaille le plus souvent en groupe et où les médias se focalisent rarement sur une personnalité, Peter Murphy peut se vanter d'être l'un des rares à avoir fait fait une longue carrière sous son propre nom. L'ancien chanteur de Bauhaus, fort de tout le charme que lui procurent sa théâtralité détachée et sa belle voix de baryton, a su tracer sa propre voie dans sa carrière solo, montrant son talent pour les mélodies pop sans renier ses racines gothiques. Cette année, l'artiste britannique nous livre son onzième album Silver Shade, onze ans après l'imposant Lion qui est notre préféré à ce jour.
Au sein d'une discographie solo diversifiée, Silver Shade se révèle être dans la continuité de Lion, parmi les albums les plus gothisants de Peter Murphy : la plupart des morceaux sont construits avec pour squelette une basse profonde et rugueuse assortie d'une batterie au jeu tendu jouant souvent sur les demi-tons, par-dessus lesquels s'ajoutent au fil des morceaux sons électroniques plus clairs et instruments d'orchestre avec davantage de douceur. Le disque est toutefois moins tourmenté que son prédécesseur : les morceaux prennent le temps de respirer et de développer des mélodies plus douces autour de ce squelette, l'atmosphère est moins sombre. La voix de Peter Murphy, comme à son habitude, danse autour des morceaux, envoûtante.
Et cela fonctionne. On a peu de surprises au niveau des sonorités employées, les structures des morceaux se répètent un peu avec leurs recours à des crescendos plus aigus, mais Peter Murphy possède cette capacité de nous séduire par la puissance de ses mélodies et de son chant, entre murmures graves et exultation. Il faut ajouter à cela que le son, cette fois encore travaillé par Youth de Killing Joke, est impeccable. On s'attache facilement à Swoon, le morceau le plus âpre de l'album, d'ailleurs une collaboration avec Trent Reznor de Nine Inch Nails, toutefois les chansons les plus intéressantes sont celles où la teinte pop est plus assumée tout en conservant leurs ombres : il en est ainsi de la très belle The Artroom Wonder, qui évoque le moment où Peter Murphy et Daniel Ash de Bauhaus et Love And Rockets ont découvert David Bowie, avec Justin Chancellor de Tool à la basse, de la rude Soothsayer et surtout de l'éponyme Silver Shade, intense et enchanteresse.
La fin de l'album s'avère un peu différente en termes de construction des morceaux et de sonorités, ce qui est une bonne chose. On goûte avec plaisir Time Waits et sa touche orientalisante, où reparaît cette dimension du parcours de l'artiste. Sailmakers Charm, quant à elle, est un hymne résolument pop, dominé par des orchestrations et la guitare, où le chant de Peter Murphy s'étend progressivement en émotion ; l'instrumentation rend cela un peu trop pompier à notre goût mais la mélodie où l'on sent l'influence d'ABBA est indéniablement belle. Le morceau auquel on accroche le moins est finalement le titre bonus Let The Flowers Grow, duo avec Boy Georges sorti en single fin 2024, qui reste trop plat en dépit d'une touche mélancolique appréciable, mais cela n'a pas grande importance.
Silver Shade est donc une jolie pièce qui s'ajoute à la discographie impressionnante de son auteur, qui ne se laisse pas enfermer dans un genre et possède pourtant un style reconnaissable entre tous. On regrette un peu que le disque ne soit pas davantage construit comme un album, les chansons étant très indépendantes les unes des autres et pour beaucoup d'entre elles structurées de la même façon, mais toujours est-il que Peter Murphy nous livre une nouvelle œuvre forte et délectable.