Chronique | Ozzy Osbourne - Ordinary Man

Pierre Sopor 21 février 2020

Cinquante ans quasiment jour pour jour après que BLACK SABBATH ait inventé le metal avec son premier album et ouvert la voie aux musiques sombres, monstrueuses et déviantes qui font notre bonheur aujourd'hui, OZZY OSBOURNE revient dans les bacs avec un album solo, son premier depuis dix ans. Entre temps, il y a eu la reformation du groupe mythique, quelques annulations de concerts et reports de tournée, et, surtout, dix ans année de plus pour cet "homme ordinaire".

C'est lui qui le dit. Ozzy est un type comme un autre. Après tout, qui n'a jamais dû se faire vacciner contre la rage après avoir décapité avec les dents une chauve-souris ? Et un oiseau ? Qui n'a jamais vu son bus de tournée détruit par un avion qui s'écrasait dessus, tuant au passage un prometteur guitariste ? Qui ne s'est jamais retrouvé tout brûlé après s'être endormi dans une machine à UV ? Qui n'a jamais mis d'immondes bottes en caoutchouc pour faire un clip avec Elton John ? Ozzy, un type ordinaire qui, comme tout le monde, ne se souvient pas vraiment des années 90 et encore moins des 80's.

Ozzy n'est pas particulièrement connu pour sa sobriété (on parle de musique, bande de serpents !) et, avec Ordinary Man, continue de battre des records de mauvais goût dès la pochette (mais qui est son directeur artiste, sérieusement ? Est-ce la même personne qui voulait envoyer plein de bulles sur scène pendant les concerts du Fucking Prince of Darkness ?). Straight to Hell, avec ses choeurs baroques et ses ricanements déments, n'a peur de rien et fait plaisir à entendre : on retrouve Ozzy en grande forme, entouré d'un casting de luxe (Duff McKagan des GUNS'N'ROSES à la basse, Chad Smith des RED HOT CHILI PEPPERS à la batterie et Slash à la guitare pour ce titre). La production est impressionnante, c'est super groovy, bref : un hit catchy imparable.

Pourtant, très vite, l'horizon s'assombrit. Bien sûr, Ozzy a toujours joué avec les ténèbres. Mais celui qui, sur ses derniers albums Black Rain et Scream chantait encore des choses comme "All my life I've been over the top, I don't know what I'm doing, All I know is I don't wanna stop" ou "I am warrior, I'm fearless, No pain, No mercy, No weakness, I'm fearless" semble soudain avoir pris conscience de sa vulnérabilité. Ozzy a 71 ans et il est impossible de ne pas faire un parallèle entre les titres de l'album (notamment Goodbye et Today is the End) et ses problèmes de santé actuels responsables du nouveau report de sa tournée.

Ozzy en solo a toujours été plus rigolard que BLACK SABBATH. Pourtant, malgré une enveloppe toujours plus pop, Ordinary Man est aussi bien plus mélancolique qu'à l'accoutumée, presque dépressif, et résolument tourné vers le passé (ce qui n'empêche pas quelques décharges d'adrénaline, comme It's A Raid). Dès lors, impossible de ne pas être touché par cet artiste, celui qu'on romantise un peu comme notre grand-père, ou en tout cas celui qu'on aurait aimé avoir. Soutenu par sa section rythmique de choc, il nous assène ses meilleurs morceaux depuis une éternité (Goodbye, justement, qui s'emballe après son début tout en pesanteur, ou Eat Me et son harmonica qui renvoie aux racines blues de BLACK SABBATH). Et puis il y a sa voix si particulière, un peu geignarde, mais qui nous atteint toujours en plein coeur. 

Ozzy est glorieux. Même quand il remercie la Belgique au Hellfest, même quand les compositions qu'il nous sert sont sympatoches sans être transcendantes. Son capital sympathie est infini (si vous l'avez vu cavaler, le dos tout raide, d'un bout à l'autre de la scène pour distribuer des "I love you all" à son public, vous savez de quoi je parle) et son enthousiasme communicatif, alors on lui pardonne tout. Même les inévitables passages un peu niais, comme la balade avec Elton John donnant son titre à l'album, mais qui finissent par faire mouche notamment grâce au texte dans lequel Ozzy exprime ses angoisses et chante un "I don"t wanna die an ordinary man" aux airs d'aveu.

Si Ordinary Man doit être le dernier album d'Ozzy Osbourne, le p'tit père aura réussi à non seulement finir sa carrière studio avec un disque solide et touchant, mais en plus à le conclure sur un featuring avec les rappeurs Post Malone et Travis Scott qui, une fois passée la réaction épidermique provoquée par l'autotune, s'avère à la fois surprenant et, encore une fois, fort en émotions (même si ça avait plus de superbe quand EMINEM samplait Changes...). 

Ordinary Man est la surprise que l'on n'attendait pas. Avec son entrain apporté par des ruptures de rythme imprévisibles mais aussi la mélancolie qui s'en dégage, le tout supporté par un line-up plus inspiré que d'habitude (Zakk Wylde manque à qui, au juste ?), c'est avant tout un très bon album de rock'n'roll énergique, qui n'a pas peur de brasser large (riffs lourds, balades sirupeuses et rengaines pop sont au menu). Mais à cela, il faut ajouter Ozzy et tout ce que le personnage apporte ainsi que l'attachement particulier que l'on ressent pour ce type unique, tout ce qu'il représente, et qui réussit à être touchant avec son hard rock à la folie aujourd'hui innocente. Alors oui, tout cela est assez kitch, mais combien de légendes sont aussi attachantes ?