Chronique | Nahja Mora - AHFHAOTA

Pierre Sopor 17 mai 2022

Le concept de l'album AHFHAOTA remonte à une quinzaine d'années, en 2005, mais Josef Saint ne se sentait alors pas capable d'affronter des sujets tels que l'auto-destruction, les troubles mentaux et l'incapacité à communiquer, devant lui-même faire face à ses propres problèmes. NAHJA MORA a finalement décidé de reprendre cette idée après la sortie en 2019 de Final Realization of Failure, et la création de ce nouvel album a été fortement marquée par le décès du musicien Hobart Blankenburg, une tragédie qui a forcément impacté une musique déjà dure et viscérale.

S'il est une chose qui frappe à l'écoute de AHFHAOTA, c'est justement comme il semble jaillir directement de l'esprit brisé de son créateur pour venir nous prendre nous aussi aux tripes. La voix est torturée et semble s'extirper avec peine et souffrance de distorsions électroniques bruitistes. Expression sonore de la douleur, les experimentations industrielles de NAHJA MORA évoquent SKINNY PUPPY, mais dont on aurait poussé au maximum l'expressivité jusqu'à dresser une toile expressionniste monstrueuse, difforme, faite de désespoir, de détresse et de folie. Entre deux plages dissonantes au violoncelle, quelques riffs de guitare lourds de menace, quelques empilements de samples créant une cacophonie oppressante et anxiogène et les envolées noise aux cris possédés, hantées par quelques âmes en peine piégées dans un piano sinistre (down) on a droit rarement à un morceaux à la structure musicale plus conventionnelle, comme Ash World Grey dont le le rythme plus rapide ne dégage finalement qu'angoisse et panique. L'écoute se fait étouffante, douloureuse même, au point que la conclusion particulièrement agressive d'in the Field arrive néanmoins comme un soulagement après la difficile traversée de l'enchaînement to the dawn of a Knife / Cairo Aflame et leurs sanglots hurlés à déchirer l'âme.

NAHJA MORA a réussi son pari : AHFHAOTA est une traversée bouleversante pour ceux qui seront touchés. L'album est un concentré de noirceur et de douleur, un chaos industriel asphyxiant et parfois assourdissant au sein duquel la voix humaine lutte de toutes les forces de son désespoir pour se faire entendre, pour exister. Ce n'est pas un disque facile à écouter (et probablement qu'il a été difficile à créer également) mais l'album nous fait ressentir physiquement l'angoisse de son auteur qui se noie dans un tumulte d'émotions sans parvenir à retrouver son souffle. On évitera de le passer en soirée entre amis, mais le résultat est aussi dérangeant que saisissant.