Chronique | Marble Dagger - Marble Dagger

Pierre Sopor 23 mars 2023

Marble Dagger est une nouvelle facette d'Antoine Kerbérénès, que l'on connaissait ici pour son travail dans les musiques électroniques (l'indus avec Null Split, l'EBM avec Chrome Corps, la techno ambient avec Dague de Marbre). Cette fois, il se frotte au black metal mais, avec un tel bagage, il fallait bien s'attendre à un twist. Bingo : Marble Dagger propose sur ce premier EP une approche atypique comme on aimerait en entendre plus souvent.

On croit les connaître par cœur, ces one-man band de black metal atmosphérique. Et puis, parfois, on en découvre un qui se démarque grâce à un univers personnel fort et unique. On hésite d'ailleurs à insister sur cette étiquette avec Marble Dagger tant il est frappant dès An Ember in Your Head que l'intention est plus à l'alchimie et au croisement qu'à un respect sectaire des codes du genre  (on le sait : trop d'entre-soi, finalement, ça ne mène qu'à la consanguinité). Un chant clair plein de réverbération et de mélancolie, une instrumentation aussi proche du post-punk que du metal extrême : la schizophrénie entre composition et orchestration accouche ici d'un heureux résultat... On est convaincu par cette nostalgie entraînante mais aussi par le mystère quasi mystique et ancestral qui se dégage au cours des cinq titres grâce aux touches neofolk (It Does Not Matter, où l'on sent qu'il suffit d'un rien pour basculer dans le chamanique), par cet équilibre entre lourdeur et tension (Wicked Star, l'urgence angoissée de JOY DIVISION dans un brouillard black metal opaque et glaciale). Il en résulte une impression rare, celle de naviguer en eaux inconnues, où l'épique et l'introspectif voguent de concert (A Cold Hand is Laid, on sent à la fois la tempête qui fait rage sous la surface, la grisaille de l'horizon endeuillé et, toujours, cette impression de quelque chose de sacré ou de l'ordre du rite funéraire se trame dans les ombres).

Le vent de fraîcheur que propose Marble Dagger est particulièrement glaçant. En se déguisant derrière la chaleur de façade toute relative de ses influences neofolk, le mélange des genres n'en est que plus vicieux. La musique est à la fois séduisante et sinistre, le funèbre revêt les atours confortables de la nostalgie pour mieux nous contaminer alors que l'intensité froide du post-punk se perd dans les tourments brumeux du black metal. Ce premier EP est une œuvre atypique et personnelle dont le résultat semble organique et naturel. Vivement la suite !