Chronique | Inbleed - Ashes Of A Falling Empire

Spoon 11 février 2021

Nombreux groupes se sont essayés à mélanger metal et techno mais bien peu sont parvenus à obtenir une subtile alchimie des deux genres, sans sombrer dans l’inaudible ou en délaissant l’un ou l’autre. L’on a bien quelques titres épars qui sont des expérimentations (Archetype de DARK TRANQUILITY), des délires (Pogo Power de EXPLICIT FRENCH TERROR), ou des pistes bonus (Encore de ETHS) mais rares sont les formations ayant pris le risque de s’aventurer pleinement dans une fusion assumée.

Côté metal, on retiendra MOSHPIT ou encore THE BERZERKER qui auront marqué leur temps mais on reprochera l’aspect techno réduit à un simple métronome comme 99 % des formations de cybergrind. Il faut aussi prendre en considération qu’à l’époque, la techno était loin de toutes les fioritures actuelles où seul le kick comptait. De l’autre côté de la frontière, seul MICROPOINT s’est essayé à l’exercice avec Exit Mankind à ma connaissance. Le reste se contentant de remixer des titres de metal (Bodyrock de THE SPEAD FREAK reprenant AT THE GATES ou Cell’z Of Chaos de DFAZE SOUND SYSTEM avec SEPULTURA) ou d’ajouter une grattouille en fond sonore en allant chercher dans les tréfonds du splittercore. Rien de réellement concret côté techno et toujours cette constante frustration de ne pouvoir assouvir mes deux genres favoris condensés en une seule formation.

Que penser alors d’INBLEED ? Trio qui nous vient de France et plus précisément de Bordeaux avec Kakihara aux platines, Tao H aux cordes et Faceless au micro. Après avoir tâté le terrain avec des remixes avant de passer à la composition sur quelques EP, les voilà avec leur premier album Ashes Of A Falling Empire sous le label Hardcore France. Bien sûr, quelle est le style de prédilection national en terme de techno hardcore ? Frenchcore, s’il vous plaît (dites-moi que vous avez la référence).

Le label leur a permis d’ouvrir des portes avec notamment la présence d’invités de marque sur quelques pistes et une qualité de mixage supérieure où, contrairement à The Horde, leur précédente sortie, le mixage est plus propre où l’on ressentait clairement le changement de logiciel entre les passages metal et techno. C’est aussi ce qui va clairement les orienter vers le côté techno, où INBLEED est catégoriquement un groupe de frenchcore qui inclut des éléments metal et non l’inverse dans le sens où la composition est orientée en faveur de la techno. Néanmoins, il n’y a rien à redire de cet aspect-là, la production est soignée, le beat est bon, les kicks sont puissants et l’effet razzor toujours aussi enclin à pogoter.

Cela étant dit, le problème de la techno hardcore demeure la répétitivité qui, malgré les coupures ou les passages à la batterie virtuelle, n’empêchera pas d’écouter toujours ce même et inlassable kick. INBLEED ne dérogera pas à la règle en gardant un tempo classique aux alentours de 200 bpm. J’aurai apprécié quelques variations en tirant vers le speedcore pour appuyer les moments bourrins, du breakcore pour ceux plus techniques, ou s’orienter vers un doomcore afin d’insister sur un passage plus lourd, plus lent, afin de briser cette monotonie et d’apporter une variation intelligente.

Mais s’il y a bien quelque chose qu’INBLEED maîtrise, ce sont les montées crescendos et bien que ce soit toujours le même kick qui revient, c’est suffisamment bien amené pour que l’on ait toujours envie de casser du parpaing, très efficace sur Little Boy. Ces crescendos jouent sur la surdité du kick pour venir ensuite exploser, on sait donc à quoi s’attendre quand ça va partir. On retrouvera de façon plus disparate un kick "monté à l’envers" sur Before The Dawn, c’est-à-dire au lieu de d’avoir un effet de coup on a plutôt une sensation de saut qui change la donne (si quelqu’un connaît le terme technique exact). A d’autres rares moments, notamment sur Afterglow, on aura quelques sforzandos avec la superposition d’une batterie et d’un kick qui donne l’impression d’utiliser des parpaings à la place des baguettes et avoir cet effet de déflagration, classique mais efficace lorsqu’il s’agit de balancer le pesto.

Voilà notamment pour le côté techno, qui reste maîtrisé pour son ensemble. Il faut dire que les trois compères ont davantage une expérience de cette scène au niveau de la production. Maintenant, que penser des éléments metal ? Tout nous est exposé dès We Lost Our Way, le titre d’ouverture, qui démarre sur une intro classique du genre avant de basculer sur le core du groupe. On retrouve une voix typée melodeath quand elle est gutturale, voire nü metal pour les passages chantés, faisant penser à celle Corey Taylor qui doit être sans aucun doute l’une des influences principales de Faceless. Bien que le côté hurlé soit maîtrisé, il reste à travailler la partie lyrique qui peut faire serrer les dents par moments alors que les refrains sont globalement plaisants et accrocheurs.

La guitare va, quant à elle, venir appuyer le rythme effréné du frenchcore tout en restant (trop) discrète mais hargneuse. Les riffs sont simples, manquent de diversité et peuvent paraître amateur. Il suffit d’écouter la prestation de Benjamin Baret (NE OBLIVISCARIS) sur Before The Dawn pour se rendre compte de la différence. D’un autre côté, est-ce qu’il est nécessaire d’avoir de la branlette de manche ? Absolument pas, le genre peut se contenter de riffs à la nü metal, la rythmique étant essentiellement portée par le kick.

Est-ce qu’ajouter simplement une guitare peut rendre une musique metal ? Clairement, non. Il faut aussi que cela se ressente dans la composition. Prenons l’exemple de DEVOUR qui, bien qu’il fasse de la dubstep, retranscrit son influence metal à l’aide d’une batterie électronique en lieu et place d’un logiciel MAO pour ses percussions. Autant dire que le résultat final est d’autant plus metal que ceux qui se contentent de grattouiller trois accords en se planquant derrière un kick basique, comme 99 % des formations de cybergrind. Là où INBLEED se démarque, c’est par la présence supplémentaire d’un chanteur et une composition certes techno mais dont l’influence metal est suffisamment présente pour pouvoir en arborer l’étiquette ; et pas seulement au niveau de la guitare.

Si vous avez appréciez Exit Mankind de MICROPOINT en 2011, alors Ashes Of A Falling Empire est un album taillé pour vous puisqu’il reprend les même codes. Toutefois, si votre délire est davantage metal, orientez-vous plutôt vers tout ce que touche J.P. Anderson (RABBIT JUNK, THE NAMED, SCHIZOID) ou le digital hardcore en général. Il serait toutefois dommage de ne pas prendre le recul nécessaire et d’avoir la curiosité d’y jeter une oreille dans le sens où INBLEED a une réelle volonté d’allier les deux genres et de donner le meilleur d’eux-même.

Avec Ashes Of A Falling Empire, INBLEED démontre qu’ils maîtrisent les bases. Bien qu’ils n’aient plus rien à prouver côté frenchcore, c’est un fait, il leur reste à parfaire l’influence metal en prenant notamment des risques et en sortant de sa zone de confort. La seconde partie de The Horde issu de l’EP homonyme montre pourtant le potentiel du groupe à pouvoir harmoniser le tout. Enfin, à la façon d’un rouleau compresseur sous V8. Mais ne soyons pas trop exigeants, n’oublions pas que peu de groupes s’essayent, et surtout réussissent, sur ce terrain de façon assumée et encore moins avec de la techno hardcore. Saluons l’effort et le résultat prometteur d’un groupe qui veut tant donner, proposer quelque chose de novateur et, surtout, de qualité.