Chronique | Health - Rat Wars

Pierre Sopor 8 décembre 2023

Ces dernières années, HEALTH est partout. Pourtant, à l'écoute de leurs premiers albums, chaos bruitiste noise-rock, on n'aurait pas forcément imaginé les Californiens en futur boss de la scène industrielle. Entre leurs travaux pour des jeux vidéos (Max Payne 3, Cyberpunk 2077) et leurs multiples collaborations (Nine Inch Nails, Korn, Poppy, Ho99o9, Perturbator, Chino Moreno...), ils se sont assurés non seulement de répandre leur son mais aussi d'étendre leurs compétences. Dansant dans la déprime, mélangeant des références geeks au pessimisme le plus sombre, HEALTH a non seulement les bons skills mais aussi la bonne strat : avec RAT WARS, ils sont prêts à passer au niveau supérieur et présentent eux-mêmes leur nouvel album comme "The Downard Spiral pour les gens qui ont au moins deux écrans et une carence en vitamine D".

Ne vous laissez pas berner par l'ironie de HEALTH et sa faon de gérer sa communication, ses cosplays, ses memes et ses boutades : RAT WARS mérite assez bien sa description. S'il n'est pas aussi viscéralement rageur que l'illustre album de Trent Reznor, il se noie dans un sentiment constant d'abattement. A la fois mélancolique et apathique, le chant de Jake Duzsik retranscrit d'ailleurs cette résignation fataliste : le monde n'a plus aucun sens, on va tous mourir, alors dansons sous les bombes. Et les bombes, ce sont ces beats irrésistibles et ses riffs de guitares qui nous secouent dès DEMIGODS (sur laquelle Tyler Bates joue de la guitare) pour ne plus nous lâcher. HEALTH n'a jamais sonné aussi lourd, aussi metal, sans pour autant perdre sa touche poétique, fragile, élégante, mais s'amuse aussi à brouiller les pistes en accélérant le rythme de son premier titre pour un final anxiogène apocalyptique.

Si les fans de la première heure ne retrouveront jamais la folie expérimentale des débuts, HEALTH a beau ne jamais avoir été aussi accessible et accrocheur, ils triturent toujours les textures et maîtrisent les perturbations sonores pour apporter densité et profondeur à une succession de titres qui font tous mouche. RAT WARS défile à toute allure : FUTURE OF HELL (avec Sara Taylor de Youth Code) ou la déjà classique HATEFUL avec SIERRA en guest ne font que monter en intensité jusqu'à ce que, dans sa dernière partie, la transition (OF ALL ELSE), avec sa guitare sinistre, nous rappelle de manière flagrante la référence mentionnée plus haut : The Downward Spiral, mais à notre époque. Cette amertume soudaine, ce minimalisme de quelques secondes à la connotation funèbre, fait chavirer l'album dont l'âme était déjà vrillée de toutes parts par des machines impitoyables.

HEALTH est bel et bien au sommet de son art : en poursuivant dans la même direction que Vol. 4 : Slaves of Fear mais en bénéficiant de l'expérience de ses multiples collaborations, le trio enchaîne les coups critiques et les ruptures de rythme radicales. La frénésie de CRACK METAL, très March of the Pigs il est vrai, la violence de la guitare de CHILDREN OF SORROW (signée Willie Adler de Lamb of God), les samples de Like Rats de Godflesh sur SICKO, l'énergie EBM de DSM-V et ses gros riffs méchants: HEALTH tabasse. Mais c'est aussi dans le contraste que se trouve l'intérêt de leur travail, dans les touches pop ou atmosphériques tout aussi présentes et elles aussi plus pertinentes que jamais, à l'image de cet ASHAMED nostalgique, désespérée et pleine de grâce ou de cette conclusion sur Don't Try qui résume l'esprit de l'album : "n'essaye pas, je ne suis pas là, je ne vis pas, le futur est là et il n'y a pas d'issue".

Nuances et contrastes vertigineux, rengaines pop, riffs écrasants, expérimentations noise toujours présentes, textes d'un pessimisme glaçant, délicatesse, violence : HEALTH a ajouté des points de compétences dans chacun de ces arbres de talent. RAT WARS est leur album le plus puissant, accrocheur de bout en bout, mais aussi le plus varié et le plus mélancolique. Avec son univers atypique et actuel, HEALTH secoue aussi les vieux codes pour proposer une musique industrielle moderne, à la rencontre des genres et profondément ancrée dans un sentiment contemporain de futilité, de solitude et d'inutilité. C'est parfait pour danser jusqu'à l'oubli, ou juste pour déprimer dans son coin et fuir toute source de vitamine D.