Chronique | Evanescence - Synthesis

Cécile Hautefeuille 19 novembre 2017

En mai 2017, EVANESCENCE annonçait la sortie d’un projet de longue date : un best-of, certes, mais entièrement réarrangé, réinterprété, en version symphonique. Certains, déçus, y ont vu l’échec du groupe à résister aux sirènes des labels qui appellent l’argent facile. Mais ils se trompaient. Amy Lee, loin d’être facile, a changé à plusieurs reprises de labels et de managers, s’est séparée de tous les membres du groupe et les as remplacés plusieurs fois, s’est fâchée avec pas mal de monde, dans la seule optique de toujours réaliser le projet musical qu’elle souhaitait. Ne jamais transiger sur ses exigences artistiques. Pour les amateurs à l’oreille attentive, Synthesis était à prévoir depuis bien longtemps et apparaît comme une suite logique au travail, si ce n’est d’EVANESCENCE, du moins d’Amy Lee. Les nombreuses démos d’avant Fallen comportaient des arrangements électroniques ou simplement piano/voix (Missing, Good Night, Before The Dawn, Give Unto Me, Forgive Me… faut-il continuer ?) et furent évincées à l’époque par Wind-Up Records qui a tenté de prendre le dessus sur la ligne artistique du groupe. Il n’est donc pas étonnant de retrouver cet univers ici. Quant à l’attrait pour les versions acoustiques et symphoniques, il faut être sourd pour ne pas l’avoir vu grandir au fil des années. Les tout premiers lives d’EVANESCENCE ne comportaient pas de piano, évacuant l’instrument principal de sa chanteuse. Puis Amy Lee en a fait une partie centrale avec l’interprétation de Breathe No More, My Immortal et le début de Bring Me To Life. Les deux albums studio suivants se terminent tout deux par des titres acoustiques (piano/voix pour Good Enough ou Harpe/Voix pour Secret Door) ou électroniques (Swimming Home). À chaque hiatus d’EVANESCENCE, Amy Lee en a profité pour sortir des chansons sans guitare, à l’instar de Together Again et Love Exists, ou des nombreuses collaborations à la réalisation de bandes originales de films comme Sally’s Song pour L’Étrange Noël de Monsieur Jack, l’album Aftermath pour le film War Story, et récemment Speak To Me pour The Voice from the Stone. Sans parler de son album solo Dream Too Much. Et comme jusqu’à présent, c’est elle qui gère la carrière d’EVANESCENCE d’une main de fer, il n’est pas étonnant de voir enfin s’accomplir son souhait de prendre, le temps d’un album, ce tournant symphonique.

Mais si l’on se passe de guitares, il faut être à la hauteur. L’attente est grande à la première écoute de Synthesis. Les premières notes de l’ouverture nous rassurent : le piano est toujours là, et l’on pense alors qu’il sera l’instrument central de cet album symphonique. On entend résonner les quatre notes incontournables (la, si, do, ré en ré mineur) du pont de Whisper, l’un des premiers titres composés par EVANESCENCE, qui a traversé les démos, les albums, les tournées et qui se devait de figurer sur Synthesis avec son orchestration phénoménale… mais qui n’y figure pas. Grosse déception d’entrée, puisque cette intro mène en fait à Never Go Back, un titre du dernier album éponyme du groupe, passé inaperçu. Le seul intérêt de cette version est la reprise du pont au piano tout au long du morceau.

On enchaîne directement avec l’un des deux titres inédits, Hi-Lo. Sympathique morceau, il ressemble néanmoins aux derniers titres en solo d’Amy Lee et on peut se demander le niveau d’implication des autres musiciens du groupe. La petite perle, c’est le solo de Lindsay Stirling au milieu du morceau. Et voici comment, en trois chansons, on finit par se demander si EVANESCENCE ne devrait pas faire que des ponts en fait.

Reprenons un peu de sérieux à l’abord de My Heart is Broken. On entame une partie délicate, celle des titres dont l’instrument principal est le piano, qui ont connu des versions acoustiques mémorables, et pour lesquelles on en attend en version symphonique encore plus que les autres. La surprise est immense lorsqu’on découvre que le piano a tout simplement disparu. Est-ce une déception ? Non, si l’on considère que le groupe a voulu étonner, se renouveler, et finalement supprimer tous les instruments avec lesquels on a l’habitude de le voir jouer. Pour les pianistes et tous ceux qui ont écouté en boucle les versions acoustiques des tubes du groupe, c’est évidemment une déception. Mais on comprend sur ce titre que Synthesis laisse la part belle aux cordes frottées et à la voix d’Amy Lee, les deux stars de cet opus. C’est aussi sur My Heart is Broken la première apparition de la harpe, qui remplace le piano sur une partie de la partition de piano originale. Est-elle jouée par Amy Lee ? Il n’en est fait nulle mention. La boîte à rythmes utilisée pour le refrain est l’une des seules de l’album qui soit réellement novatrice et intéressante.

Arrive ensuite Lacrymosa, qui dans sa première bouture au tournant des années 2000 s’intitulait Anything for You, et dont le génie ne vient malheureusement pas d’EVANESCENCE mais du sample du célèbre Lacrimosa de Mozart, compositeur fétiche de Lee. Le titre était tout de même une réussite et son remake est intéressant. Le sample est encore réduit, et répété en boucle dès le départ pour faire monter la pression. Celle-ci n’est pas relâchée pendant le premier refrain, puisqu’il est carrément ellipsé. On va crescendo dans l’émotion et l’orchestration, jusqu’à l’apothéose finale qui donne tout son sens à l’orchestration symphonique et rend hommage à la voix d’Amy Lee. C’est le titre de Synthesis qui promet de belles choses en live.

Faire figurer The End of the Dream sur Synthesis ne prend son sens qu’a posteriori. Il faut rappeler que le troisième opus du groupe, sorti en 2012, après 5 ans d’absence, fut une déception. Hormis les quelques perles Lost in Paradise, My Heart is Broken ou encore Secret Door, qui sont plus l’œuvre d’Amy Lee que du groupe, et qui figurent tout trois sur Synthesis, le reste de l’album est assez fade, manque énormément de couleurs du côté des guitares. Mais les puristes rabat-joie et-c’était-mieux-avant dont je fais partie vous diront que de toute façon, aucune composition de guitare d’EVANESCENCE n’a su arriver à la cheville de celles de Ben Moody et son solo en live sur Whisper. En fait, cela fait longtemps qu’on n’attend plus grand-chose d’EVANESCENCE, car le talent d’Amy Lee écrase tous ceux qui l’entourent. Et l’on s’en rend particulièrement compte sur cette version de The End of the Dream, qui révèle la faiblesse de l’accompagnement metal-soupe original. Cette variante orchestrale prend une dimension féérique (avec le xylophone du début) et gagne en nuance et profondeur. Ce qui n’était que bruit et cris inaudibles devient musique. Le refrain prend enfin l’ampleur qu’il méritait et l’on retrouve les frissons lorsqu’Amy s’empare des aigus maîtrisés à la perfection. Voici un autre titre que l’on attend en live avec impatience.

On clôture la première partie de l’opus avec l’incontournable Bring Me To Life, l’occasion de prendre du recul sur le choix des titres figurant sur Synthesis. En effet, on regrette un peu le fan service réservé à Fallen, dont on ne conserve que les deux plus gros tubes Bring Me To Life et My Immortal (dont les versions sont franchement dispensables) ainsi qu’Imaginary, probablement la meilleure chanson du groupe, dont la réinterprétation est franchement décevante, mais on y reviendra. On se console en se disant qu’au moins, ils nous ont épargné l’insupportable Call Me When You’re Sober.

Bring Me To Life, au contraire du reste de l’album, n’a ici rien de nouveau. En fait, à l’origine de Synthesis, Amy Lee souhaitait faire entendre au public les arrangements de David Campbell sur ce morceau, qui sont originellement étouffées par les guitares. Elle a voulu réenregistrer cette orchestration en lui donnant plus de poids. Les ajouts electro sont plutôt discrets sur ce titre. Seules les guitares et le piano ont entièrement (ou presque) disparus. Les violons sont eux boostés au maximum. Cette version est plutôt agréable, mais n’apporte rien de nouveau, et surtout ne soutient pas la comparaison avec la variante acoustique violoncelle/guitare sèche/piano/voix entraperçue sur le plateau de « Legends and Lyrics » en 2009 qui met en scène une Amy Lee vêtue de blanc, les cheveux courts, avec une profondeur et une fragilité dans la voix que l’on a jamais revues ailleurs. Cette interprétation acoustique brute hante tous ceux qui attendent depuis 2009 la version complète de ce show inédit.

L’interlude mêle habilement les mélodies de Bring Me To Life et Imaginary, qui lui succède. Imaginary, c’est l'un des titres à ne pas toucher dans la discographie d’EVANESCENCE. Sa mélodie et ses paroles en font l’œuvre la plus originale du groupe. On avoue qu’on aurait bien aimé un clin d’œil à la version d’Origin, si ce n’est dans les arrangements, au moins dans la réhabilitation du second refrain, disparu depuis Fallen. Mais Amy Lee a mis de nombreuses années avant de se réconcilier avec Origin, alors de là à lui rendre hommage… À la place, on retrouve une instru electro moderne remplie de glitchs et autres effets artificiels. Le titre s’appelle Imaginary mais les effets coupent toute imagination. La harpe est à nouveau présente, mais sous-utilisée et presque inaudible. Le tout finit en gloubi-boulga pas très harmonieux. C’est la grosse déception de l’album.

Quant à Secret Door, elle est simplement contingente. Non pas parce qu’elle est mauvaise, mais parce qu’elle n’apporte rien de supplémentaire à la version originale, qui se suffit à elle-même sans rajouter de fioritures electro. On enchaîne alors avec Lithium, l’un des chefs d’œuvre du groupe. Et comme on vient de se faire massacrer quelques-uns de meilleurs titres, on ne s’attend franchement plus à grand-chose. Et c’est finalement la surprise : enfin, voici une version acoustique, minimaliste, piano/cordes frottées comme on les aime. Enfin, on retire l’arsenal bourrin des guitares électriques et on enfile la parure symphonique. On retrouve presque par moment la féérie de Danny Elfman. Le piano est amplifié, la voix sublimée. On n’aurait pu rêver mieux.

Du coup, on se sent un peu perdu à l’approche de Lost in Paradise. Car ce titre fait lui aussi partie de la troupe des piano/voix qui ne demandent qu’à garder leur interprétation originelle. Aura-t-on droit à une version piano acoustique ou electro symphonique ? Eh bien c’est l’electro symphonique qui reprend le dessus, mais dans une proportion plus juste. La boîte à rythmes ne gêne pas outre-mesure, puisque la partie orchestrale est largement amplifiée. Pourtant sans piano, cette version de Lost in Paradise est néanmoins une vraie réussite, tout comme celle de Your Star, pratiquement meilleure que celle de départ.

Mais voilà que la dispensable My Immortal pointe le bout de son nez. Amy Lee affirme à son propos qu’il ne peut y avoir un concert d’EVANESCENCE sans My Immortal. Eh bien je soutiens que si. Ils pourraient même y en avoir des tas. C’est certes une très belle chanson, mais elle a cessé de prendre son sens au bout de son 40 000è passage sur MTV dès 2003. Sa version 2017 n’aide en rien à effacer la caricature qu’est devenu ce tube. C’eut été le seul titre sur lequel on aurait apprécié de ne plus entendre le piano tant la mélodie est devenue clichée. Malheureusement, le piano est gardé sur cette mélodie principale et supprimé dans les accords plus riches du morceau.

À ce moment-là, on sait qu’on n’a plus grand-chose à attendre de Synthesis, puisque l’on connaît déjà le dernier single Imperfection, qui nous fait espérer un joli duo violon/piano avant de basculer vers cette insupportable boîte à rythmes doublée d’un rap pas très heureux (qui n’est pas sans rappeler dans la diction la reprise d’Amy Lee de Chris Isaak, Baby Did a Bad Bad Thing). Néanmoins, après avoir traversé le plancher de 23 étages de l’immeuble de la déception sur les couplets, les refrains redonnent espoir aux fans et sa voix à Amy Lee.

Alors, après cette analyse de texte, qu’avons-nous appris, hormis qu’EVANESCENCE ne devrait faire que des refrains et des ponts ? Synthesis n’est certainement pas un must-have. Le projet était un souhait de longue date et on en attendait certainement davantage. Jusque-là, on expliquait la faiblesse des derniers albums par cette domination d’Amy Lee sur le reste du groupe, ses compositions et sa voix écrasant celles des autres. Pour cet opus, on pensait donc voir son génie réellement éclater, comme dans ses versions acoustiques de Bring Me To Life ou ses nouvelles compositions solo comme Speak to Me. On est donc nécessairement déçus de se retrouver avec du « poum-chak » électronique assez médiocre qui vient parasiter l’orchestration symphonique. Pour autant, il ne faut pas tout jeter et certains essais furent transformés. Hi-Lo, Lacrymosa, The End of the Dream, Lithium et Lost in Paradise sont les bonnes surprises de cet opus. La setlist est dans l’ensemble plutôt sensée. D’autres titres du groupe sont mémorables mais ne se seraient pas prêtés à la transformation. Néanmoins, Whisper manque cruellement. Sur ce, les puristes rabat-joie et-c’était-mieux-avant dont je fais partie retournent hiberner.