Chronique | Daron Malakian and Scars on Broadway - Dictator

Pierre Sopor 20 juillet 2018

Album enregistré en une dizaine de jours il y a six ans, l'arlésienne Dictator est enfin sortie. Un retard dû, d'après Daron Malakian, aux incertitudes concernant le futur de SYSTEM OF A DOWN. L'album contient d'ailleurs des éléments qui auraient pu faire partie du retour du groupe culte des années 90/2000. On remarque également que le nouveau projet du chanteur / guitariste ne s'appelle plus SCARS ON BROADWAY mais DARON MALAKIAN AND SCARS ON BROADWAY... Un caprice de l'artiste déjà omni-présent sur la fin de SOAD ? Peut-être, mais pas que : sur Dictator, il est le seul musicien crédité, jouant lui-même de tous les instruments en studio. Un statut de projet solo assumé, donc.

Avoir le contrôle absolu d'un projet, c'est être libre d'en faire ce qu'on veut. Malakian ne s'en cache pas : ce deuxième album "solo" lui laisse l'occasion de s'essayer à des musiques plus accessibles, assumant des influences pop, rock et même électroniques. Pourtant, Dictator démarre avec Lives, un morceau qui devrait caresser les fans de SYSTEM OF A DOWN dans le sens du poil. Hommage aux survivants du génocide arménien, dont Malakian est un descendant, ce single est d'ailleurs sorti le 23 avril, la veille du jour de commémoration du génocide. Entraînant et addictif, Lives plante le décor du disque : des riffs acérés mais une musique accessible et accrocheuse dont les influences orientales et caucasiennes renvoient à la culture arménienne, à cheval entre l'Europe et l'Asie mineure.

Dictator a beau avoir été enregistré six ans avant sa sortie, il n'en est pas moins pertinent aujourd'hui. Dans Angry Guru, Malakian se moque des "gourous assis sur leur propre petit caca", condamnant la violence qu'ils provoquent. Un message intemporel que l'on peut toujours adresser à un paquet de dirigeants à l'égo contrarié. Le thème de la guerre, déjà présent chez SOAD est évidemment dominant ici, le refrain du morceau-titre en remet une couche et Malakian se fait plaisir en nous offrant une démonstration de tout ce que sa voix légèrement nasillarde peut proposer. Il en fait même des tonnes, prenant des voix plus décalées les unes que les autres, se permettant des tons parfois délirants qui titillent immédiatement une fibre nostalgique. Mais ses compositions ne sont pas en reste : Dictator est un album dynamique, plein de surprises qui nous prend régulièrement à contre-pied avec ses variations de rythme et d'ambiance. C'est aussi un album qui étonne par la rage qu'il dégage parfois (les hurlements à la fin de Fuck and Kill, les riffs très thrash de Sickening Wars).

Bien plus riche que le premier album de SCARS ON BROADWAY, Dictator est un disque sur lequel Malakian s'amuse à expérimenter, tout en proposant une ensemble facile à assimiler et à aimer, alternant entre lourdeur et légèreté. Les morceaux ne sont jamais paresseux ni faciles, il y a toujours un instrument, une cassure, une ligne de chant, quelque chose qui retient l'intérêt. L'album propose également quelques moments de pause bienvenus, comme Guns are Loaded, la chouette Till the End et son chant très pop-rock, ou la mélancolique reprise instrumentale de Gie Mou, morceau de Stamatis Kokotas, star de la chansons grecque. C'est d'ailleurs avec une autre reprise que Dictator s'achève, elle aussi surprenante puisque Daron Malakian s'attaque à Assimilate des légendes de l'indus SKINNY PUPPY. Une fois passé l'habituel réflexe d'indignation face à un possible blasphème, on réalise que cette version nerveuse et intense déjà jouée en live depuis un moment réussit à ne pas trahir l'originale tout en étant fidèle à l'ADN de SCARS ON BROADWAY

Dictator est un bien meilleur album que ce qu'on aurait pu croire après un premier essai inégal vieux de dix ans. Devenu un projet solo, DARON MALAKIAN AND SCARS ON BROADWAY est plus fou, plus riche, plus intéressant qu'il ne l'était quand plusieurs musiciens y travaillaient. Les ingrédients sont connus : revendication d'une culture arménienne autrefois persécutée, rejet des guerres, riffs débridés et chant expressif où s'entrechoquent folie et émotions, mais la recette fonctionne. Dictator est un chouette disque qui s'est fait attendre peut-être trop longtemps. Néanmoins, rendez-vous est pris pour 2024, puisque Malakian commence déjà l'enregistrement du prochain.