Chronique | Dakh Daughters - Air

Pierre Sopor 2 mai 2019

À l'origine une compagnie de théâtre, les DAKH DAUGHTERS mélangent performances théâtrales et musique depuis 2012. Air est le deuxième album des sept Ukrainiennes et elles en présentent le contenu comme "philosophique, tristement ironique et parfois très intime" : le complément idéal à If, sorti en 2016 ?

Ce qui marque immédiatement l'auditeur à l'écoute des DAKH DAUGHTERS, c'est la poésie qui se dégage de ce projet : elles ont beau évoquer MARILYN MANSON, LAIBACH (et MIREILLE MATTHIEU) comme influences, le cabaret freak des sept comédiennes / musiciennes a quelque chose de bien plus éthéré et aérien. Cela vient peut-être des instruments utilisés (xylophone, contrebasse, violoncelle, maracas, piano, harmonica, accordéon, etc) qui donnent immédiatement un aspect artisanal au son, ou au mélange des voix et des langues qui rendent leur travail insaisissable. Aux antipodes de la folie punk de l'incroyable single Donbass, avec Inshe Misto, Air démarre dans une ambiance feutrée. Retenue et élégance sont de règle, les cordes et le piano installent une mélodie après que de discrètes percussions aux consonances extrême-orientales aient donné au morceau des airs d'invocation. Le chant est mélancolique, la rythmique hypnotique. 

Les DAKH DAUHTERS soignent leurs ambiances, forcément théâtrales mais où les éclats sont rares. Le ton général est onirique, parfois tragique (O, Panno Inno !), parfois inquiétant (comme sur la première partie de l'épique Pisnia Pro Te, Yak Vona Vykhodyt Na Krutuiu Horu à la durée aussi longue que son titre) mais toujours d'une élégance et d'une subtilité rare. On y entendrait des fantômes soupirer. Dans sa dernière partie, Air s'emballe un peu et laisse souffler quelques bourrasques : il y a tout d'abord Schcho Ty Sobi Dumaiesh?, où l'on retrouve les influences punk du groupe le temps de couplets autoritaires scandés, puis la folie qui s'empare de Pannochka où différentes voix et le rythme rapide installent une schizophrénie et une frénésie angoissée. Ces explosions parcimonieuses dynamisent l'écoute avant M'yach, conclusion polyglotte poétique et envoûtante.

Air est un album qui, avec ses nombreux instruments organiques, ses diverses influences, langues et voix dégage quelque chose d'universel. Les DAKH DAUGHTERS se sont nourries de tant de choses que ce qu'elles offrent n'en est que plus riche et fascinant. Ce deuxième album tend souvent à une forme d'épure, comme pour en soigner les effets. C'est beau, raffiné, et étrangement moins déjanté que ce que l'on attendait.