Chronique | Cranes - Wings of Joy

Tanz Mitth'Laibach 16 juillet 2017

Le nom du groupe britannique CRANES est quelque peu oublié de nos jours : formé en 1988 par le guitariste Jim Shaw avec sa sœur Alison au chant, il débuta dans un style très sombre, mêlant gothique et industriel sur son premier album Self-Non-Self et sur l'EP Unescapable ; Wings of Joy fut son deuxième album, et s'il remonte à 1991, on gagne à redécouvrir ce chef d'œuvre !

Ce qui fait le charme de CRANES, c'est avant tout la voix d'Alison : très aigüe, souvent comparée à celle de VANESSA PARADIS mais chantant d'une façon à la fois sensuelle et inquiétante, subissant des effets de réverbération qui lui donnent un aspect fantomatique. Sur Wings of Joy, son chant prend place dans un univers angoissant, plus subtil que sur les albums précédents : l'album est hanté par les mélodies lancinantes de la basse et surtout d'un piano très grave, typiques de la colwave, au milieu desquels Alison paraît effroyablement seule, son chant paraissant nous implorer au milieu de cet univers musical tourmenté ; alors surviennent les riffs de la guitare et de la batterie, agressifs et bruitistes, vestiges du passé industriel du groupe, et Alison se met à crier de façon déchirante... La vague nous atteint en plein cœur.

L'album s'ouvre ainsi sur une introduction douce mais inquiétante, Watersong, avant que les riffs ne commencent sur Thursday -ce morceau est malheureusement en-deça des suivants, l'album met du temps à décoller. Mais, une fois qu'il trouve véritablement son rythme avec Living And Breathing, on ne redescend plus ! On atteint un sommet dans la discordance entre la voix fragile d'Alison et la brutalité des riffs sur Leaves of Summer et Starblood, le contraste rend ces deux morceaux à la fois efficaces et touchants. L'album feint ensuite de se calmer avec Sixth Of May et Wish, mais si ces deux morceaux sont moins violents, ils sont aussi pesants, oppressants, on devine là encore les origines industrielles de CRANES dans leur aspect répétitif. Enfin, Wings of Joy s'adoucit pour de bon avec ses derniers morceaux : la ballade pop Tomorrow's Tears, sympathique bien qu'anecdotique, Beautiful Sadness et Hopes Are High qui sont deux beaux morceaux mélancoliques où domine le piano. Et puis, bien sûr, il y a Adoration, qui clôt l'album. Adoration ! Le piano grave et la voix douce et passionnée d'Alison nous guident dans une montée en puissance saisissante, on frissonne, jusqu'à déboucher sur un apaisement formidable à la voix d'Alison gagne une étrange sérénité, le piano en fond se faisant plus aigu... On sort de l'album avec un sentiment d'harmonie formidable, paradoxal au terme de ce disque torturé !

Mais après tout, le charme de Wings of Joy n'est-il pas justement d'être un album paradoxal ? C'est une pièce maîtresse à recommander à ceux qui aiment le contraste tel qu'on le trouve souvent dans les musiques sombres à voix féminine, ainsi qu'à ceux qui aiment les disques immersifs, unis par une atmosphère. Du reste, s'il se rapproche de la coldwave, son chant le différencie de groupes comme AND ALSO THE TREES ou THE CURE avec qui CRANES collabora souvent, on pourrait aussi le comparer pour sa voix féminine à DEAD CAN DANCE et surtout à COLLECTION D'ARNELL-ANDRÉA, mais ceux-ci ne possèdent pas sa brutalité d'inspiration industrielle ; il est unique, et c'est pourquoi il ne faut pas hésiter à découvrir ce disque d'une autre époque.

CRANES se fit davantage connaître pour la suite de sa carrière, évoluant vers un rock alternatif plus doux et plus accessible, il en tira un autre chef d'œuvre tout aussi poignant, Loved ; et si son dernier album remonte à 2008, la voix d'Alison ne nous quitte pas une fois entendue, laissant sa marque dans nos cœurs et nos esprits.