Chronique | Black Nail Cabaret - Chrysanthemum

Pierre Sopor 29 février 2024

Ce n'est pas parce que Black Nail Cabaret tient un rythme soutenu que le duo Hongrois ne s'autorise pas quelques pas de côté. Le précédent album d'Emese Árvai-Illés (chant) et Krisztián Árvai (claviers, programmation), Woodland Memoirs, réinventait leur musique sous un format acoustique en partie improvisé. Ils reviennent à l'électronique avec Chrysanthemum, quatre ans après Gods Verging on Sanity.

Les chrysanthèmes, forcément, imposent immédiatement une teinte funèbre et poétique à cette pochette inspirée par les portraits sur lit de mort. Black Nail Cabaret affectionne autant les grands écarts que les nuances, associant expérimentations et structures rassurantes familières avec la voix d'Emese Árvai-Illés qui sert de liant. Le premier titre, My Home is Empty, est une entrée en matière idéale : l'électronique est hantée de quelques dissonances spectrales qui viennent troubler des nappes contemplatives alors que le chant, lui, est chaud et apaisant dans sa mélancolie.

C'est dans ce genre d'exercice que l'on aime tant Black Nail Cabaret, dans son talent à surprendre et à invoquer l'étrange, le menaçant et le déviant mais toujours avec ce sens de la séduction, comme autant de provocations intelligentes (la pesanteur soudaine à la fin de Totems and Taboo, l'angoissante Neurons, les hypnotiques cauchemars atmosphériques hallucinés de 1mg...). Que le rythme accélère ou au contraire que l'on plonge dans l'introspection la plus blafarde, le duo ne repose jamais sur la facilité en mélange la froideur chirurgicale aux émotions vivaces du chant. Dans ses moments les plus faciles d'accès, Chrysanthemum atteint pourtant aussi des sommets d'élégance, comme Darkness is a Friend à laquelle des influences post-punk confèrent un charme gothique irrésistible, soutenu par un thérémine d'outre-monde et un chant entêtant. Imparable. Le duo sait y faire pour les hymnes : Autogenic ou Roadtrip et sa nostalgie contagieuse, en sont d'autres exemples où sophistication esthétique et plaisir immédiat forment un bien joli couple.

Le groupe explique que la peur de la mort nous définit et nous obsède alors que l'on pourrait être rempli de tant de choses. A la fois dans la rébellion et l'acceptation de cet état, Black Nail Cabaret donne peut-être à Chrysanthemum un son moins dur que le précédent effort électronique du groupe mais, aidé par l'influence de son artwork, on y apprécie une ambiance plus lugubre, un arrière-parfum de deuil omniprésent qui colore l'ensemble de nuances douce-amères aussi élégantes que réconfortantes... Confortablement installé dans votre cercueil, vous trouverez bon de vous prélasser dans les souvenirs de votre vivant qu'évoqueront cette célébration funèbre de la vie : quelques larmes ne feront pas de mal à votre peau desséchée.