Chronique | Amenra - Mass VI

Pierre Sopor 31 octobre 2017

Fidèles à leur univers mystique, les belges de AMENRA sortent leur nouvel album cinq ans après Mass V, une sixième "messe" logiquement intitulée Mass VI. Il s'agit de leur deuxième album studio sur Neurot Recordings, le label fondé par NEUROSIS dont AMENRA est un digne descendant, partageant l'intensité et la lourdeur de la bande de Scott Kelly. Après le superbe Alive, album live magnifique sorti l'an dernier, il était cependant temps de retourner en studio et de se remettre aux hurlements habités.

AMENRA, en digne héritier de ISIS ou NEUROSIS n'a pas peur de prendre le temps de poser ses atmosphères et d'introduire ses morceaux, ce que l'on peut apprécier lors des deux premières minutes de Mass VI. Avec sa montée en volume progressive, la guitare en intro de Children of the Eye nous laisse le temps de nous recueillir et de quitter le monde réel pour entrer dans celui de AMENRA avant que les hurlements de Colin Van Eeckhout surgissent comme un spectre sortant de l'ombre, écorché vif (littéralement d'ailleurs, à la lumière de certaines performances live). Le motif musical se répète, et son chant hanté comme jamais hisse le titre vers des sommets émotionnels rarement atteints avec le groupe. On savait AMENRA pas franchement marrant dans sa musique, mais c'est une véritable tempête de noirceur qui se déchaîne sous les guitares pesantes. Et pourtant, dans ce tourbillon cathartique d'émotions, AMENRA réussit à dégager une forme d'apaisement, créant une dynamique paix / violence ou obscurité / lumière qui fait tout le sel de leur musique. On a juste le temps d'un interlude calme en néerlandais avant de replonger dans les méandres de l'esprit déchiré et tortueux d'AMENRA avec Plus Près de Toi. Les lamentations de Colin Van Eeckhout laissent place, le temps d'un refrain très shoegaze, à un chant clair et posé bouleversant qui apporte un peu de chaleur à une musique toujours plus pesante : les guitares se font moins saturées et plus mystérieuses (on pense à TOOL) et plus que jamais l'ambiance est à l'introspection.

Nouvel interlude parlé avec Spijt, mais point de plongée abysalle juste après au début de A Solitary Reign : dans la lignée du refrain de Plus Près de Toi, le calme et la mélancolie sont ici de mise... tout du moins jusqu'à une montée en intensité qui réveille les guitares progressivement  alors que le morceau va crescendo vers quelque chose de plus en plus intense au point que les émotions en deviennent presque palpables physiquement. On est surpris par cette forme d'intimité très pudique qui s'est créée cependant lors des passages en voix claire, dans la lignée de Alive. Après ce modèle de construction, les onze minutes de Diaken marquent la fin de Mass VI. Et quelle fin ! Sa première partie évoque un cortège funéraire avec ses percussions lourdes et lentes, avant que les éléments ne se déchaînent dans un chaos total, les musiciens d'AMENRA nous hurlant toute leur douleur comme ils savent si bien le faire. Le résultat est encore une fois d'une puissance viscérale, et nous laisse longtemps hantés par ses riffs de guitare et son chant désespéré. 

Mass VI a logiquement hérité de la lourdeur de Mass V, tout en laissant plus de place au chant clair. Sur le même modèle que son prédécesseur, l'album propose quatre morceaux, séparés ici par deux interludes, pour une durée total d'environ quarante minutes. Le voyage est cependant si marquant qu'il semble en durer plus : la musique d'AMENRA ne peut laisser indemne. Apocalyptique, profonde, violente et remplie de souffrance, elle sait se ménager des moments de pure extase religieuse. Entre l'exorcisme et la messe, Mass VI a la puissance d'un rituel sacré qui devrait vous chambouler un bon moment.