Chronique | Alien Sex Fiend - Possessed

Pierre Sopor 27 novembre 2018

ALIEN SEX FIEND s'était fait bien discret depuis la sortie de Death Trip il y a presque dix ans. Entre-temps, le guitariste Simon "Doc" Milton a eu la triste idée de nous quitter pour, on l'espère, une meilleure planète, laissant Nik et Mrs Fiend seuls à bord de leur barque, qu'ils mènent depuis désormais 35 ans. La traversée ne promet pas d'être moins mouvementée pour autant, bien au contraire : Possessed s'annonce particulièrement secoué, le duo le décrivant comme un "réconfort pour les esprits dérangés".

Des synthétiseurs torturés, des superpositions de couches et de samples, des guitares qui hurlent au loin et les borborygmes de Nik Fiend : Possessed démarre comme on l'attendait, de manière imprévisible. Quand on dit d'ALIEN SEX FIEND que le groupe est en terrain connu, c'est qu'ils explorent de nouvelles contrées musicales, repoussant toujours les limites du bon goût, du rassurant et du confortable. Possessed est la promesse d'un voyage qui ne sera rien de tout ça. Shit's Coming Down nous plonge immédiatement dans l'univers acid-punk des britanniques, où des paroles éructées se collent à un beat lourd. Le chant, lointain, oscille entre le refrain scandé et les divagations d'un malade mental paumé alors que les synthés, une constante chez ALIEN SEX FIEND, sont à la fois hypnotiques et labyrinthiques. C'est à la fois séduisant et bruitiste, trop étrange pour ressembler à quoi que ce soit et totalement hors du temps. Si Possessed n'est pas un album particulièrement "facile" à écouter, It's in my Blood pourrait bien cependant faire figure de tube de l'album, malgré ses onze minutes. Après une introduction anxiogène, la rythmique est accrocheuse et le morceau s'épaissit petit à petit, mené par les incantations psychédéliques de Nik Fiend, pour évoluer au fur et à mesure vers une cacophonie de plus en plus rock. Si nos neurones sont malmenés, le plaisir, lui, est réel. 

De Who's Been Sleeping in my Brain à Death Trip, en passant par Acid Bath ou Curse, les titres d'album d'ALIEN SEX FIEND sont particulièrement bien choisis et pourraient régulièrement illustrer leur entière discographie. Possessed ne déroge pas à cette règle et l'album est tout aussi déviant et hallucinogène qu'on pouvait l'espérer. ASF est un groupe sombre, certes, souvent macabre, mais qui s'est toujours détaché grâce à son humour noir, son côté iconoclaste. De véritables ovnis. Il faut entendre Ghost in the Machine, son intro presque cartoonesque et ses guitares anachroniques et ses notes à l'envers ou encore l'étrangement funky et très industrielle Amnesia : le duo nous invite dans sa dimension, trop tordue pour être parallèle à quoi que ce soit de connu. Un néophyte qui aurait été séduit par les hymnes cultes du groupe sur un best-of et souhaiterait approfondir sa découverte a de quoi s'en tirer avec de graves séquelles. ALIEN SEX FIEND mélange des sons organiques à la limite du désuet (Gotta Get Back sonne très retro) à de l'électronique foutraque tout aussi désuète et futuriste à la fois, créant un mélange extra-terrestre décomplexé et fou. La transition Bloody Reprisal reprend les paroles de It's in my Blood en y collant de l'harmonica : ça fait le même effet qu'une soirée country sur un astéroïde et c'est génial. Possessed s'achève sur une version plus lourde de Shit's Coming Down, mélange chaotique d'influences punk, noise et industrielles.

On ne va pas se mentir : on sort plutôt épuisé de l'écoute de Possessed. Traverser ces douze morceaux n'était pas de tout repos et y laisser quelques plumes n'aurait rien de surprenant : ALIEN SEX FIEND est sans pitié pour son auditeur et continue d'être "un truc d'initiés". Mais pour peu que les facéties et expérimentations du duo soient votre tasse de thé, alors Possessed, une fois digéré, est un véritable plaisir totalement barge, plein de surprises. Nik et Mrs Fiend continuent leur traversée du cosmos et de leur propre psychée tourmentée à leur façon, inimitable et indispensable.