Nostalgique, Alice Cooper ? Ces dernières années, l'humeur était régulièrement au regard en arrière, comme avec ce Detroit Stories sorti en 2021, ou quand le guitariste Michael Bruce, le batteur Neal Smith et le bassiste Dennis Dunaway jouaient ensemble I'm Eighteen et School's Out en 2011 au moment d'être intronisé au Rock'n'Roll Hall Of Fame... Après tout, même Welcome 2 my Nightmare (2011 également), bien que peu passéiste musicalement, nous replongeait dans les années 70 pour offrir une suite au premier album sorti par Alice Cooper sans son groupe "historique". The Revenge of Alice Cooper est, lui, le premier avec le groupe d'origine depuis, justement, l'époque précédant Welcome to my Nightmare : s'ils s'étaient déjà recroisés, ces gens-là n'avaient pas enregistré tous ensemble depuis 1973 (le guitariste Glen Buxton, décédé en 1997, est lui aussi de la partie via des enregistrements inédits). La revanche du titre, finalement, c'est un peu celle de ce Alice Cooper Band, incarné depuis 1975 par son seul chanteur.
Une telle réunion pose forcément une humeur : on n'écoute pas The Revenge of Alice Cooper pour y être surpris ni explorer de nouvelles routes. Point de pas de côtés avant-gardistes bizarres qui ont toujours divisé les fans (non, pas de featuring avec Xzibit en vue !). En fait, l'étonnement peut à la rigueur provenir de la vigueur du groupe. Cela ne surprendra pas ceux qui ont récemment vu "the Coop" sur scène : il approche les 80 ans avec une énergie juvénile impressionnante et les mots sinistres qu'il récite en intro de Black Mamba (avec en guest Robby Krieger des Doors), menaçant et sinistre, provoquent toujours invariablement ce petit frisson. Le groupe prend son temps, le tempo est lent, la basse rôde, hypnotique, et Cooper excelle dans son rôle de narrateur inquiétant.
Alors que l'album nous renvoie petit à petit à une époque où les choses obscures et terrifiantes étaient encore l’œuvre de quelques hippies plus bizarres que les autres, le rythme s'emballe. Combien de titres de cet album seront intégrés aux futurs concerts d'Alice Cooper ? Probablement très peu, un ou deux. Mettons une pièce alors sur Wild Ones (hommage au cri de rébellion qu'était le film L’Équipée Sauvage avec Marlon Brando), Up All Night ou What Happened to You (avec un riff de Buxton datant de 73), autant d'hymnes rock'n'roll énergiques comme on en croise dans les best-of. Ça groove, ça fonctionne mais on ne va pas vous mentir : nous, on aime bien les fantômes et les choses plus lugubres. A ce titre, Kill the Flies nous apparaît comme le meilleur moment de l'album. Au sein d'une ambiance spooky, Cooper reprend le rôle du servile Renfield, l'assistant de Dracula, dans une suite du morceau Ballad of Dwight Fry (nommée d'après Dwight Frye, qui jouait Renfield dans le Dracula de Browning en 1931). Manger des mouches, enfermé dans la cellule de son asile, voilà une activité saine comme on les aime !
Les fantômes, le temps : The Revenge of Alice Cooper a beau sembler traverser les décennies pour nous ramener cinquante ans en arrière, à moins qu'il ne provienne en fait de cette époque, le poids des ans travaille tout de même cette bande de fringants quasi-octogénaires. Alice Cooper chante être un "vieux de 65 ans mais toujours vivant" dans Crap That gets in the Way of Your Dreams, avec un humour macabre qui se retrouve jusqu'à la voix qu'il prend, caricature de vieillard. On s'amuse bien ! On rigole moins à la fin du disque, alors que la prémonitoire et mélancolique See You on the Other Side pourrait aussi bien être un au-revoir qu'un hommage à Buxton - le guitariste ayant beau être absent, son spectre est omniprésent.
Avec son lot de titres entraînants, ses racines blues marquées (Inter Galactic Vagabond Blues ou la reprise de I Ain't Done Wrong des Yarbirds), ses ballades et ses spectres du passé (même récents : Famous Face est un titre qui était annoncé en 2020 pour le premier album de The Michael Bruce Band... dont on est sans nouvelles depuis, en voici donc enfin des restes), The Revenge of Alice Cooper est tout ce que l'on pouvait attendre d'une réunion après une si longue période. Si les cases sont cochées une à une, la plus importante reste celle de la qualité : oui, ça le fait à fond. Non, ce n'est ni paresseux, ni bâclé, ni sénile. On a le droit de préférer Alice Cooper plus théâtral et grandiloquent, ou même d'apprécier en cachette ses expériences déviantes qui rendent malades les puristes, mais en optant ici pour la simplicité, le groupe ne risque pas de se planter ni de se caricaturer. Ce n'est pas ringard car ça n'essaye pas de "sonner jeune", le résultat est au contraire intemporel. The Revenge of Alice Cooper est un album efficace et immédiat dont la démarche nostalgique ne gâche pas la spontanéité qui s'en dégage. Un chef d’œuvre ? Non. Mais, alors que l'on vient d'apprendre la disparition d'Ozzy Osbourne, réjouissons-nous de pouvoir encore faire la fiesta avec ces monstres sacrés.