Wolvennest + Déhà + Double Darkness @ Backstage by the Mill - Paris (75) - 28 octobre 2025

Live Report | Wolvennest + Déhà + Double Darkness @ Backstage by the Mill - Paris (75) - 28 octobre 2025

Pierre Sopor 29 octobre 2025

Il y a des soirées un peu plus spéciales que d'autres... et on ne dit pas ça juste parce que les concerts de Wolvennest sont déjà une expérience à part ! Le groupe belge a dû revoir ses plans quand (DOLCH) annulait pour raisons de santé sa présence sur cette tournée, entraînant l'annulation de plusieurs dates... Déhà les remplaçait alors immédiatement, une réactivité à saluer et un choix logique puisque l'artiste ultra-prolifique est un fidèle complice des rituels de Wolvennest, ayant pris part à leurs albums. Avec le duo darkwave Double Darkness pour compléter l'affiche, on se dirigeait donc au Backstage by the Mill pour alterner entre un mélange black metal atmosphérique / doom, des danses blasées gothiques et un rituel dark rock / doom hypnotique... une soirée aux ténèbres éclectiques organisée à Paris par Garmonbozia.

Déhà

Il y a encore un dernier élément qui rendait la soirée bien particulière, comme on peut s'en rendre compte alors que Déhà prend place sur scène sous les encouragements du public, qui donne de la voix et applaudit. L'artiste dédie alors la soirée à Oscar, son ami, colocataire et complice musical au sein de Herzog, emporté par un cancer en début de mois. Il était proche des trois groupes à l'affiche... Tout de suite, les applaudissements se font plus graves, moins automatiques. 

Déhà est presque aussi rare sur scène qu'hyperactif en studio, au point que l'on a du mal à suivre son rythme de sorties (généralement de plusieurs albums par an avec ce projet, sans compter le reste). Une épaisse fumée monte du sol, un cri de ses entrailles. Le set nous embarque alors dans une errance introspective entre dark ambient et funeral doom, quelque chose de lourd et pesant, à la fois veillée funèbre et rite cathartique. Quand Olmo Lipani de son vrai nom se retourne face au public, ses hurlements plus aigus n'ont pas besoin du micro pour résonner dans la salle. A genou, prostré dans le brouillard, il écorche ses tripes, en partie caché par son pupitre. On pense à Amenra mais en plus noir et dépouillé : cette même façon de sublimer la douleur, cette lourdeur accablante, ces tempêtes intérieures qui explosent... et les tonnes de fumée balancées sur un mec à genou, dos au public !

On se tait, on écoute. Les morceaux sont longs, on ne sait plus trop si l'on a applaudi après le précédent, ni même si l'on doit, de peur que ça semble déplacé dans cette veillée funèbre. Vous applaudissez aux enterrements, vous ? Et puis, dans les derniers moments du set, Déhà nous incite à chercher la lumière, même si ça fait mal, même si ça peut sembler bizarre après un set aussi sombre. C'est là qu'est son ami Oscar. Nous, on est sur le cul de s'être pris ça dès le début de soirée, un truc aussi viscéral et puissant. "Si vous avez pas pleuré, c'est que vous êtes des connards", balance-t-il avant de quitter la scène, dans un mélange de sincérité absolue et d'humour un peu bravache. Il a raison. Faisons les malins, il faut qu'on crâne un peu, parce que bientôt, ça sera nous les cranes.

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DOUBLE DARKNESS

Des cranes, c'est d'ailleurs ce qu'on retrouve au milieu de la scène pour Double Darkness. Le duo reste sur les côtés comme pour laisser la place d'honneur à ce rappel macabre de notre vanité. Les membres de Double Darkness ne se présentent qu'en tant que "DD", pas de noms. Ce serait du power metal, on les appellerait Double Dragon, y'aurait Smaug et Spyro ou Krokmou et Mushu et ça serait réglé. Mais là, c'est de la darkwave, c'est Double Darkness, on les appellera donc Darkness et Darkness, qui sortaient leur premier album City Scars l'an dernier.

Darkness se planque sous sa capuche pendant que Darkness frime un peu derrière ses lunettes noires. Les deux commencent avec leur titre éponyme, lourd, mystérieux. On pense au virage cold wave de Perturbator et au ton blasé de Boy Harsher, en plus pesant et moins hipster. C'est épais, mystérieux, lent, les deux voix se répondent et les synthés bien contemporains éteignent les spots du Backstage. La réverbération donne l'impression que des fantômes nous chantent leurs rengaines depuis l'au-delà. Des images projetées sur le duo, souvent abstraites, font parfois ressortir un visage et donnent à la scène une texture à la fois surréaliste et urbaine, faite de structures froides et dures, comme une relecture gothique et actuelle de l'esthétique chère à leurs compatriotes de Front 242.

On se dandine tristement, One Way Ticket accélère un peu le rythme. L'univers nocturne et urbain n'est éclairé que par les lumières blafardes des lampadaires dont aucune chaleur ne s'échappe. On pense à plusieurs projets darkwave récents, d'Aux Animaux à Ductape en passant par Dancing Plague : si Double Darkness partage certaines choses avec eux, leur univers ancré dans une forme de réalité déformée les distingue, ainsi que leur approche dépouillée de fétichisme 80's et d'ornements goth pour pleinement embrasser cette nuit moderne. Ultra-gothique mais sans le look outrancier, Double Darkness, c'est trop cool : on est des goths, on est méga déprimés, on s'en fout d'avoir l'air contents d'être là, on s'en fout de sourire, de dire merci, de chanter super juste, on s'en fout qu'on nous voit, de toute façon on va bientôt mourir et on est déjà morts au-dedans.

En studio, plusieurs membres de Wolvennest participent aux morceaux. Double Darkness n'allait pas passer à côté de l'occasion d'inviter le guitariste Corvus Von Burtle le temps de Last Sesh. "There's a dance floor in the graveyard" nous marmonnent Darkness et Darkness, mélange d'une voix sépulcrale et une plus spectrale. Le Backstage by the Mill est le cimetière, on le renomme Graveyard by the Mill, c'est nous les morts, on n'a plus aucune joie, plus aucune motivation, plus aucun feu. C'était trop cool.

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WOLVENNEST

Les cranes, toujours. Cette fois-ci, celui sur scène est entouré de bâtons d'encens dont l'odeur emplit l'air du Graveyard by the Mill. Wolvennest prend place.. et prend de la place : la scène est un peu étroite pour les six musiciens. Le dernier album du groupe s'appelle Procession. Le nom est pertinent. La musique, lourde et hypnotique, dégage effectivement quelque chose de solennel et sacré, une impression renforcée par le jeu de scène très sobre et hiératique de la chanteuse Shazzula. Elle extirpe de son thérémine quelques lamentations fantomatiques d'un autre monde, puis les autres instruments entrent en scène et le rituel commence. 

Leur dernier album était présenté comme la bande-son de notre propre extinction. C'est donc à notre propre requiem que nous assistons. Wolvennest pioche dans des influences ésotériques 70's, on croit parfois deviner des ombres post-punk (Another Nail), les brouillards du black metal... Les riffs nous ratatinent, le thérémine s'échappe et hulule dans la nuit. Marc DeBacker, avec ses lunettes et son chapeau, a des airs de cow-boy croque-mort, quelque part entre Fields of the Nephilim et Me and That Man. Michel Kirby se démène dans son coin et vient parfois alourdir encore le propos avec sa voix. Sur la gauche de la scène, le bassiste VaathV et Corvus font preuve d'une belle complicité... Leur jeu de scène, communicatif, contraste avec la présence de Shazzula, autoritaire, impassible, qui déclame ses textes comme on lance une malédiction.

C'est lent mais accrocheur, les riffs sont massifs mais ça groove. Avec Purple Poison, l'air s'épaissit. La voix ressort enfin un peu mieux, après un début de concert où elle semblait écrasée par le reste. Avec l'encens et l'épaisse fumée qui recouvre la scène, l'ambiance mystique est réussie. Les échos de la plus ancienne Incarnation, marche funèbre intense et occulte, font alors plonger le concert un peu plus loin dans les ténèbres. La musique tombe comme une condamnation, grandiose et ancestrale. Sa théâtralité suffit, pas besoin d'en rajouter des tonnes sur scène. Les profanes trouveront peut-être tout cela monotone, les adeptes, eux, sont en transe. Wolvennest captive son audience, transportée dans un univers fantasmagorique et enfumé.

Les titres les plus anciens se mélangent très bien aux derniers en date. All That Black et Ritual Lovers mordent fort, morceaux fascinants qui ne dénotent pas entre Décharné, pas de côté en français, ou les brumes contemplatives de Famadihana. On aurait adoré avoir le temps de se faire ensorceler par Accabadora. Du dernier album, on aurait aimé pouvoir plonger dans les profondeurs angoissantes de Hunters ou se perdre dans la noirceur radicale de The Last Chamber mais le temps est compté et il faut faire des choix. En fin de soirée, Shazzula quitte la scène sans un mot et Wolvennest nous réserve un final bien spécial : Déhà revient sur scène et le groupe achève son set avec La Mort. Quelle fin plus appropriée pouvait-on imaginer ? Les paroles récitées dans la version studio se retrouvent hurlées en une longue conclusion à cette soirée singulière, funèbre et mystique. 

La Mort omniprésente, au bout de tout : on l'aime quand elle est romantisée, mystifiée et sert de toile de fond poétique dans un petit jeu qui permet d'essayer de faire face à la mort, la vraie, celle qu'on aime forcément moins. Félicitons alors les artistes et l'organisateur pour avoir permis à cette soirée, aussi belle qu'unique d'exister. C'était nécessaire et, pour cette fois, la vie a gagné la bataille.

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Pierre Sopor

Rédacteur / Photographe