Pour finir l'année, il fallait un concert de Noël. Un truc festif, bien dans l'esprit. C'est ce que Sanit Mils proposait dans le sous-sol de la Mécanique Ondulatoire en réunissant Nuit Noire, Léa Jacta Est et Vaurien : des murs en pierre, une odeur de cave, du black metal très loin des sentiers balisés et de la pop extra-terrestre... Voilà comment on enterre avec style 2025 !
VAURIEN
Vaurien est composé de Tic et Tac, ou Dupond et Dupont, même s'ils disent s'appeler Vauräss et Vuzz. Là, sous les spots bleus uniformes de la Mécanique Ondulatoire, on a du mal à les différencier : même moustache, même cheveux rasés planqués sous une casquette, même façon de soigneusement ranger les tee-shirts dans le pantalon.
Quand la musique commence, on ne rigole plus trop. On se fait matraquer la tronche par leur black metal à l'univers urbain, fait de barres d'immeuble et de caniveaux. Vauräss hurle avec rage. Il y a des étincelles punk qui sortent le black metal de ses forêts mystiques pour le faire dégueuler sur un parking désert. Vaurien exige une certaine attention car, écouté de loin et distraitement, le set peut paraître d'une uniformité monotone. Pourtant, on prêtant l'oreille, on en apprécie surtout les touches industrielles, dissonances électroniques et noise qui ajoutent à la grisaille. Leurs boucles répétitives aliénantes comme un horizon barré par le béton hypnotisent et tracent les contours de cet univers radical, plus expérimental et affranchi des codes qu'on aurait pu le croire dans les premiers instants. Les lumières bleues ne varient pas d'un poil, Tic et Tac crachent ce qu'ils ont à cracher sans grand discours, sans théâtre. C'est méchant, c'est parpaing, c'est le sombre tunnel de la soirée dont on s'étonne de ressortir vivant.
LEA JACTA EST
Quoi que, vu la suite des événements, peut-être sommes-nous arrivés dans l'au-delà. Calée entre deux projets de black metal, Léa Jacta Est devait se sentir un peu comme une étoile filante tombée dans une flaque de sang avec son mélange folk / pop inclassable, entre poésie, mélancolie, questionnements existentiels et hallucinations psychédéliques. Elle le confesse entre deux morceaux, remerciant le public pour son attention.
Oui, mais dans le public, ben y'avait même un peu de headbang. Sur du Léa Jacta Est. Et ça tapait dans les mains, ça agitait les verres de bière et tout : il faut croire que le public de Nuit Noire n'est pas le public black metal élitiste parisien que l'on imagine. Avant de retrouver l'icône des fées épée à la main, il y avait donc cet autre être un brin fantasmagorique, avec son pull du Grinch pour faire Noël, qui nous présente un mélange de titres de son premier album et de morceaux inédits. Une reprise d'Au Nom de la Rose et ses paroles douteuses, un morceau qui s'appelle Salive... et puis les "classiques" Horizons du Fantastique, avec son thérémine et ses OVNIS, Les Films pour Adulte ou Les Pyrénées. Humour macabre, tourments sincères, c'est aussi beau que ludique, Léa Jacta Est maîtrisant comme bien peu l'équilibre précaire entre les humeurs et se sortant avec élégance des pirouettes tonales les plus acrobatiques. Le concert avance, elle annonce que "la fin est proche". On est tristes parce qu'on sait qu'elle parle du concert, mais on se marre parce qu'on sait qu'elle parle aussi de la vie et du vrai monde. On a eu droit au Noël des Amis, ce monument des chansons de Noël et véritable earworm. "Petit Jésus est né et demain tout sera fermé, sauf nos cœurs avinés" : encore une fois, Léa Jacta Est a répandu des paillettes sur les tombes avec son ton unique et la grâce qui se dégage de cette improbabilité permanente. En plus, les métalleux ont aimé.
NUIT NOIRE
Oui, parce que bon, on parle de black metal depuis tout à l'heure, mais Nuit Noire n'est pas n'importe quel projet de black metal. On est face au roi du black metal féérique. Depuis bientôt 30 ans, il propose une vision singulière du genre, qu'il tord pour le faire tenir dans son univers chatoyant. Probablement un des premiers artistes à prendre le black metal pour l'attirer vers la lumière, Tenebras mène seul son petit royaume à l'aide de sa cape, son épée, son espèce de slip, sa guitare et sa batterie.
Pour les initiés, ce farfadet est une légende. Les morceaux ont pour titre Faërie Punk, I Am a Fairy ou encore Born Again Unicorn. Tenebras brandit son épée, le public hurle et se déchaîne, ça pogote, on sent que l'événement est assez rare pour être apprécié à sa juste valeur par les connaisseurs. Tout chez lui est iconique, de son approche de la musique à son costume. Il est aussi connu pour ses prouesses scéniques, quand, en plus du slip et de la cape, on le découvre derrière la batterie, à en jouer avec les pieds tout en continuant de se servir de la guitare avec ses mains. Et il chante, en plus. Il y a une vitesse et une énergie punk, un goût pour le chaos dans la musique qui est également contrebalancé par une certaine douceur plus contemplative. La musique semble n'obéir à aucune formule préconçue, n'est jamais prévisible, on a même un peu du mal à comprendre ce qu'on entend. C'est une sensation rare et pas forcément désagréable. Un véritable OVNI, dont on ne peut qu'admirer le dévouement à son art. Tenebras donne de sa personne et assume entièrement et sans cynisme cet univers, c'est fait avec une authenticité et une passion qui forcent le respect... Et ses doux sourires le rendent immédiatement sympathique.
Et puis il y a les non-initiés, les curieux qui passaient par là, les gens venues voir une première partie et qui ne savaient pas à quoi s'attendre. On les croise dans les escaliers menant à la salle, les yeux écarquillés, hilares : "bon sang, mais c'est quoi ce truc ? J'ai rien compris ni au chant ni à la batterie ni à la guitare". Bah ouais. Les oreilles des fées n'obéissent pas aux mêmes lois que celles des humains. Au pire, il était encore possible d'entrer dans le bar d'à côté, l'Atomic Cat, pour profiter du set EBM / indus du lui aussi très rare Silent EM... chacun assumera ses choix de vie ! En tout cas, on vous souhaite à tous de passer d'aussi belles soirées de fin d'années en famille : des mecs en casquette-moustache qui vous tabassent les tympans, une extra-terrestre qui chante la mort et la vie sans que l'on ne les différencie vraiment et une fée en slip avec une épée qui fait de la double-pédale. Votre Noël sera forcément plus pourri que ce beau Noël des amis !

































