MERRY - 2015-10-18

MERRY - 2015-10-18

Mandah 3 novembre 2015

Formé en 2001, MERRY est un groupe rock non-conventionnel qui mélange différents styles de musique du punk-rock au blues & jazz (pour ne mentionner qu'eux). Le combo portant un intérêt particulier pour le mouvement Avant-Garde de l'entre-deux-guerres, n'hésite pas à aller contre-courant et ose aborder des sujets politiques (rare au Japon). Ces caractéristiques si inhabituelles se sont encore plus renforcées avec la sortie de leur dernier album-studio, NOnsenSe MARKeT, qui à l'instar de l'interview, témoigne d'une dose de colère, d'esprit et d'humour.

Pour ceux qui ne vous connaissent pas encore, je décrirais MERRY comme un groupe Rock N Roll. Son esprit est incontestablement punk ! Le groupe fusionne de nombreux genres de musique, comme la pop, le metal, et le blues & jazz. Vous prenez aussi des risques avec les sujets que vous abordez. Il en résulte quelque chose d'inédit, et finalement comme je l'ai dit, Rock N Roll.
Gara : Je suis d'accord en tout point avec ta description. Nos influences étant larges, notre musique doit s'en faire ressentir. J'écris toutes les paroles des chansons. Nos sujets ont très souvent trait à ce pour quoi nous devons nous battre. Je veux dire qu'ils témoignent de notre indignation vis-à-vis du monde. L'écriture des paroles est le médium à travers lequel j'exprime ce qui me révolte, tous ces ressentis cumulés au fil du temps. Je pense que l'essence de nos paroles insuffle au groupe un esprit punk comme tu l'as relevé.

Votre dernier album, NOnsenSe MARkeT, est sorti le 24 décembre 2014. Bien que cela va faire un an qu'il est disponible, y aurait-il encore des choses que tu n'aies pas dites à son sujet ?
Gara : Cet album a été fait dans un studio d'enregistrement japonais, comme tous les autres disques que nous avons sortis. Tout le processus de création a été très long, certains morceaux nous ont demandé deux mois d'investissement. L'album a été enregistré sur une période de six mois. On a changé notre approche de composition avec lui. Avant cet album, chacun exprimait ses idées comme elles venaient, les morceaux évoluaient de manière un peu aléatoire jusqu'à trouver totale satisfaction. Pour NOnsenSe MARkeT, la composition de la musique s'est faite après l'écriture des paroles. J'ai d'abord tout écrit, les autres membres ont ensuite apporté leurs touches personnelles pour créer l'atmosphère final de l'album.

Quelles sont les étapes que vous suivez lors du processus de création ?
Gara : Si je devais dresser un profil-type de composition, je dirais que le processus se décompose en trois grandes étapes. Dans un premier temps, on définit un thème. On travaille chacun de notre côté les idées qui découlent dudit thème, soit à la maison soit en studio. Dans un second temps, on échange nos idées, avis et opinions par envoi d'e-mails, on écoute et ré-écoute les démos. Les titres évoluent graduellement. Pour te donner une meilleure idée, nos échanges ressemblent à ça : "Si tu joues de la guitare de cette façon-là, alors je pense que la basse devrait sonner comme ça". Petit à petit, les chansons se développent et prennent forme jusqu'à la troisième étape, l'enregistrement.

Quelles sont les trois chansons que tu conseillerais d'écouter à ceux qui ne connaissent pas encore l'album ?
Gara : En premier, je choisirais « Chiyoda-sen Democracy », qui est selon moi le titre phare de l'album. A travers cette chanson, j'exprime mes insatisfactions d'une façon sèche et sans détour vis-à-vis du Japon. Elle est comme un cri d'alerte dont le message serait : « C'est quoi ce foutu merdier ?! Changeons ce pays ! Qu'est-ce qu'on attend pour faire évoluer les choses bordel ?! » (rires). Je ne parle pas de ces choses qui me révoltent de manière explicite, j'insère plutôt des messages ici et là, et utilise des images. Par exemple, Chiyoda est une ligne de métro à Tokyo. Elle représente le noyau de la ville dans la mesure où elle fait se connecter différents lieux importants où les décisions politiques sont prises. L'Assemblée Nationale, le parlement japonais, les ministères s'y trouvent. Il y a beaucoup de cynisme dans la chanson parce qu'au final, je me rends compte que je me suis moi-même laissé avoir par ce système. Je réagis parfois mécaniquement à ce qu'on attend de moi. Sans aller jusqu'à dire que je suis devenu un acteur de cette institution, je réalise que même les personnes que je hais le plus peuvent, malgré tout, déteindre sur moi. Cette chanson est triste en fait. En second, je choisirais « NOnsenSe MARkeT », qui est quand même le nom de l'album. Le titre est à l'image du groupe. Comme tu l'as précisé, les paroles dotent à MERRY un esprit punk, il y a également une atmosphère blues & jazz. Ces perspectives sont mélangées aux ressentis d'un Japonais, les miens. En bref, il en résulte quelque chose d'inédit, sans interdit. Si MERRY était un centre commercial, on pourrait tout y trouver. Peut-être que les gens se diraient : « C'est un non-sens ! Qu'est-ce que c'est que ça ? Toutes ces choses futiles, toutes ces choses inutiles, toutes ces choses hors-de-prix et bon marché ». Ils se diraient sûrement bien d'autres choses (rires). En troisième, je dirais « Tokyo ». C'est un choix plus personnel. Je n'y suis pas né, je suis arrivé dans cette ville, Tokyo, avec des rêves plein la tête. J'ai commencé à intégrer des petits groupes de musique avec le désir et espoir de "changer le monde" à l'esprit. La chanson traite de ces rêves obsessionnels que l'on veut à tout prix réaliser, quoi qu'ils puissent nous en coûter. C'est un long chemin pavé d'embûches. Je fais donc un parallèle entre la ville de Tokyo et les rêves que je tenais à réaliser à travers elle. Entre joie et désillusion, la question finale de la chanson est la suivante : Pourquoi est-ce que je suis venu et resté à Tokyo ?

Le concept de NOnsenSe MARkeT est une critique des sociétés modernes. Le titre est d'ailleurs stylisé avec certaines lettres en capital : N, O, S, M, A, R, T ce qui signifie 'No Art, No Smart'. Peux-tu nous dire ce que cache ce message ?
Gara : Oui exactement, le message est bien : "No Art, No Smart". En ce qui me concerne, la musique aide à faire passer ce genre de messages qu'on vient de mentionner, c'est-à-dire des messages liés à des problèmes de société. C'est aussi un moyen de stimuler les gens afin de les aider à prendre leurs vies en main, leur faire prendre conscience de certains problèmes et les encourager à ne plus être les victimes de la société. Je pense que soulever ces problèmes est crucial. La critique du monde actuel est indéniablement un sujet tabou au Japon. Mais faisant partie d'un groupe de rock, je me dois de l'exprimer. L'art a toujours été un moyen de libre expression.

Ces sujets sérieux ont été traités avec humour dans les vidéos. Le clip NOnsenSe MARkeT et celui de Chiyoda-sen Democracy sont une satire de la société japonaise. À la fin de NOnsenSe MARkeT, les terroristes deviennent des policiers. Est-ce que cela signifie que nous sommes sans espoir ?
Gara : Yamaguchi Yasuyuki a réalisé les deux clips, NOnsenSe MARkeT et Chiyoda-sen Democracy. Ces deux vidéos transmettent bien le message des chansons et plus généralement de l'album. Mais on a décidé d'ajouter une pointe d'humour, un côté enfantin et grotesque. Pour Chiyoda-sen Democracy, je souris de façon insistante pendant tout le clip-vidéo. C'est une décision réfléchie qui contraste avec les paroles. Montrer une attitude totalement opposée rend le message de la chanson plus intéressant dans la mesure où elle nous fait nous questionner d'avantage. En ce qui concerne NOnsenSe MARkeT, ton analyse est exacte. Au départ de la vidéo, nous jouons des terroristes, des personnes marginales qui veulent changer le monde parce qu'elles le trouvent complètement insensé. Et au final, l'appât du gain nous entraîne dans les rouages du système. Pour illustrer cette idée, on se met d'abord dans la peau de terroristes puis dans celle de policiers. C'est un peu extrême comme transformation, je te l'accorde (rires) ! Mais elle signifie que la cupidité, symbolisée par ce chèque que l'on voit dans le clip, est la cause de la perdition du monde. L'argent est la cause de sa déchéance (s'arrête brusquement). En France, lever le majeur comme ça (fait le doigt d'honneur) est aussi mal vu ?

Oui (rires). Ce geste est universel et très probablement l'un des plus insultants. Mais il doit être plus mal perçu au Japon. La France reste un pays de révolutionnaires.
Gara : Au départ, j'avais l'intention d'afficher mon ressenti vis-à-vis de l'état du monde en faisant un doigt d'honneur mais finalement, j'ai renoncé à cette idée. Avec les autres membres du groupe, on s'est demandé si ce geste ne représentait pas la ligne à ne pas franchir. Au Japon, le poids du « Nenkô Jôretsu » (le principe d'ancienneté) est très fort. Lié à la notion de l'emploi à vie, il donne un avantage aux vieilles personnes au détriment des jeunes. En bref, le respect des anciens est d'une extrême importance. Par conséquent, faire un doigt d'honneur devant des symboles du Japon aurait été irrespectueux envers ces personnes-là... Les plus jeunes ne sont pas suffisamment considérés, en quelques sorte. Comment est-ce en France ?

Dans une certaine mesure, c'est assez semblable. Mais je pense que la notion de respect au sens large est bien plus forte au Japon, ce qui n'est pas un mal en soi. J'ai quitté la France pour le Japon (rires).
Gara : Il y a de plus en plus de jeunes Japonais désireux de partir à l'étranger. Bien que je critique le Japon, j'ai choisi d'y rester. Je ne vivrai nulle part ailleurs. J'adore mon pays malgré ses imperfections. Les gens qui laissent tout tomber pour partir vivre à l'étranger et reconstruire une vie à partir de rien m'impressionnent beaucoup. Je n'aurais jamais pu franchir ce cap-là et ce, même si j'avais pu parler d'autres langues.

Pour en revenir à l'album, NOnsenSe MARkeT, as-tu déjà eu des habitudes de consommation complètement inutiles ?
Gara : Oui, avant (rires). Je n'en ai plus maintenant. À une époque, je ne pouvais pas m'empêcher d'acheter des guitares. Pour rien, puisque je n'y jouais pas. Un jour, en rentrant chez moi, j'ai réalisé qu'étant chanteur et non guitariste, ce passe-temps était complètement insensé. Il m'en reste une aujourd'hui, elle est rangée dans une housse et n'y bouge pas. En réfléchissant bien, j'avais aussi acheté un accordéon, alors que je ne sais pas en jouer. Je ne sais pour quelle raison je l'ai fait, très certainement pour en faire un objet de décoration.

Tu es peut-être Français finalement (rires). Certains titres comme Hide and Seek, Fukurou et Unreachable Voice mettent en avant des sentiments très personnels (l'amour, le désespoir, la déception). Que t'apporte l'écriture de ces sujets en comparaison avec celle des sujets de société ? Comment sélectionnes-tu les thèmes ?
Gara : Mes racines musicales viennent des courants mélodiques et les musiques mélodiques tournent de manière générale autour de thèmes tristes, comme la mélancolie, l'attachement, la perte, ou encore la nostalgie. Avant, j'écoutais pas mal de musiques folk et des chansons rétro. Quand on s'est lancé dans la musique avec MERRY, on a bâti notre univers sur ces bases-là. Dans mon c?ur, les deux genres d'écritures, personnel et politique, sont présents et importants. Le choix d'un thème au détriment de l'autre est lié à mon humeur du moment et au style de musique auquel on veut rattacher le morceau. Si j'ai envie de déverser ma colère, je choisirais de le faire au travers de sujets politiques et de manière sèche et forte, comme un cri, pour me libérer de toute cette merde. Ce monde est vraiment pourri, tu ne trouves pas ?

Si. Mais il y a aussi de belles choses. Et le dernier single, Happy Life, montre justement une facette positive de MERRY, ce qui est étonnant.
Gara : Oui c'est vrai, tu as raison. Bien que le titre soit dans la continuité de NOnsenSe MARkeT, j'ai voulu exprimer une facette positive de ma personne à travers le thème du bonheur. C'est ma façon de dire qu'il n'y a pas que des mauvaises choses dans ce bas monde. Je pense qu'on peut trouver le bonheur partout, il suffit juste d'ouvrir les yeux plus grands afin d'avoir une vision d'ensemble, à ce moment-là seulement peut-on le réaliser. Le simple fait d'allumer la TV et voir défiler sans cesse des images toutes aussi sombres les unes que les autres, te fait relativiser les choses et permet de comprendre que ta vie n'est pas si négative que ça. Rien que pouvoir manger, boire, se divertir en regardant des émissions de variétés à la TV, ou encore sortir librement dehors et toutes ces choses-là, c'est une chance dont il faut avoir conscience car d'autres ne l'ont pas. Il faut aussi réaliser l'importance de notre entourage, il faut chérir les gens qu'on aime. Le clip de la chanson met en scène ce thème. Il montre une guerre de tomates entre deux clans. Les gens s'amusent, même s'il s'agit d'une confrontation. Le jeu prend fin, tout le monde sympathise et se sert la main. La fin connote donc l'idée du bonheur par le biais de choses simples et moments partagés. L'utilisation de tomates nous a posé quelques problèmes d'éthique. Ça n'a pas plu à tout le monde. Mais il faut savoir lâcher du lest. C'est Hiroyuki Kondou qui a réalisé la vidéo.

 

Le clip vous oppose à un clan composé de filles, ce qui me fait penser que vous avez donné deux concerts spéciaux cette semaine : un women-only et men-only. Pour quelle raison donnez-vous des concerts non-mixtes ? Comment se différencient-ils ?
Gara : Les femmes sont toujours plus nombreuses que les hommes à nos concerts mais étant donné que l'on aimerait qu'il y ait autant d'hommes que de femmes, on donne des concerts pour les deux sexes de manière séparée. Le public masculin se sent très intimidé par la prépondérance des femmes, ils se sentent mal à l'aise vis-à-vis de leur infériorité numérique. C'est assez facile de se sentir ainsi dans ces moments-là, du moins au Japon. On donne donc des concerts pour les hommes et femmes séparément, afin qu'ils puissent s'amuser sans aucune gêne. Ces publics sont très différents. Avant le concert, les filles ont tendance à acclamer nos noms, j'entends très souvent : « Gara, Gara ». Les garçons crient, sans mentionner nos noms. Dans l'enceinte, ce qui diffère le plus est l'odeur, qui est bien plus agréable avec le public féminin (rires). Quand il s'agit du public masculin, ça pue vraiment l'homme. Cela dit, on aime aussi cette ambiance masculine. Il y a une sorte de montée en puissance pendant l'attente avant la confrontation, une tension grimpe et c'est très motivant. Je peux apparenter ça à un duel en face à face, qu'il ne faudrait pas perdre. Les deux types de configuration sont intéressants, vraiment. Et puis effectivement, notre but est de développer notre public. On aimerait qu'il y ait toujours plus de monde à chaque fois.

Dans quelques jours, aura lieu le 'NOnsenSe MARkeT 3F ?Lamb Fest?', un festival qui se tiendra sur deux jours et dont MERRY est l'hôte. Le 7 novembre, le deuxième jour, vous apparaissez deux fois dans le listing : une fois avec la typographie actuelle, une autre fois en katakana.
Gara : Le concert du 7 novembre sera très particulier pour MERRY car il y a 14 ans, jour pour jour, on donnait notre toute première représentation scénique devant un public. C'était le 7 novembre 2001. On compte jouer des anciennes et nouvelles chansons sur les deux dates, le 5 et le 7, mais la version de MERRY, écrit en katakana (???) sera plus axé sur nos débuts, que ce soit au niveau du style visuel que la musique-même. Notre but avec ce festival est de montrer tout ce que MERRY a créé en 15 ans de carrière et surtout transmettre un message : le groupe n'a pas changé, nous sommes toujours les mêmes personnes !

La première fois que vous êtes venus en Europe, c'était il y a 9 ans. Est-ce que les Européens peuvent s'attendre à un retour ?
Gara : Ce n'est pas prévu. Je n'ai pas l'impression que MERRY soit attendu et sollicité en Europe. Mais si j'ai tort, et je l'espère, montrez-vous ! Si les Européens veulent nous voir, il faudrait que nous en ayant l'écho. Faîtes-vous voir ! La première fois qu'on est venu en Europe, c'était pendant le boom du j-rock et visual kei. C'était il y a neuf ans, et je ne me rappelle pas grand chose. En France, je n'ai rien fait de particulier parce que j'ai eu le mal du pays très vite. Je suis allé voir la Tour Eiffel mais à part ça, je suis resté à l'hôtel quasiment tout le séjour. J'avais amené un appareil photo mais je ne l'ai même pas sorti de la valise. Peut-être que mon mal-être était dû au fait qu'il s'agissait de mon tout premier voyage à l'étranger. En ce qui concerne la nourriture, je me rappelle d'une grande quantité de soupe, si grande que je ne savais pas s'il fallait la boire, et un énorme morceau de viande, si épais que je ne savais pas comment le manger. J'ai fini quand même par le manger, évidemment (rires). En ce qui concerne le concert, je me rappelle des différences entre le public japonais et français. Quand on joue des morceaux violents et intenses, les Japonais bougent beaucoup, de manière assez synchrone, tandis que les Français restaient assez calmes et vivent le concert de manière plus isolée. En revanche, quand on joue des morceaux calmes, les Japonais restent stoïques alors que les Français continuent de bouger, ils balancent leurs bras de gauche à droite, en l'air et crient pendant les solos de guitare par exemple. J'ai trouvé ça assez fascinant et déroutant. Mais je suis heureux que nos chansons aient plu. Avant de venir, je pensais que personne ne nous écoutait en dehors du Japon. Je suis toujours et resterai très touché par ça.

Je crois que MERRY est toujours très attendu en France.
EDIT : L'idée a fait son effet. Une tournée a été programmée (finalement) ! Le groupe passera le dimanche 28 février à la Boule Noire à Paris.