[Cinéma] La Famille Addams : air connu, claquements de doigts et anti-conformisme normé

[Cinéma] La Famille Addams : air connu, claquements de doigts et anti-conformisme normé

Pierre Sopor 25 décembre 2019

Titre : La Famille Addams
Réalisateurs : Greg Tiernan, Conrad Vernon
Année : 2019
Avec : Charlize Theron, Oscar Isaac, Chloë Grace Moretz, Finn Wolfhard, Catherine O'Hara
Synopsis : La famille Addams, qui vivait jusque-là retranchée dans leur demeure juchée en haut d’une colline brumeuse du New Jersey, se prépare à recevoir des membres éloignés encore plus étranges qu’eux à l’occasion de la Mazurka de Pugsley. Mais ils ne savent pas que leur voisine du bas de la colline — la décoratrice d’intérieur et animatrice de télévision aux dents longues Margaux Needler — est en train de mettre sur pied un quartier préfabriqué, tout en couleurs pop et en perfection.

Est-il vraiment nécessaire de les présenter ? Combien de fois, pendant les fêtes de fin d'année, vous regarderez votre famille en regrettant ne pas être de la leur ? Cela fait plus de quatre-vingts ans que Morticia, Gomez, Fester et toute leur troupe égaillent notre quotidien avec leur humeur noire, leurs blagues macabres et leur vieux manoir décrépi. Depuis les deux adaptations au cinéma de Barry Sonnenfeld, une série qui profitait de leurs succès et une piteuse suite à éviter, la Famille Addams n'avait plus donné de nouvelles, reléguée au rang de parent lointain dont on se souvient avec nostalgie. Mais vous les connaissez bien, ceux-là : pas de courrier ni de sms pendant des années mais quand les fêtes approchent, ils se souviennent qu'on existe, dans l'espoir de recevoir un chèque, les ingrats. On est en 2019 et la Famille Addams est de retour.

Faut-il s'en réjouir ? Oui, bien sûr. Pourtant, l'annonce d'un film d'animation en images de synthèse a de quoi faire grincer des dents : fallait-il vraiment que ces personnages si uniques né des traits d'esprit et de crayon du génial Charles Addams aillent diluer leur noir et blanc si haut en couleur dans une production aseptisée aux contours bien lisses ?

N’exagérons rien : dès la série de 1964, la causticité des dessins prend un sérieux coup dans l'aile pour convenir à un jeune public et aux standards de l'époque. Peu importe : le résultat était réjouissant et s'apprécie encore aujourd'hui. Certes, les rires enregistrés (on les oublie vite), les gags répétés d'un épisode à l'autre (faute de temps et de budget) ou certains procédés visuels peuvent paraître désuets (bien qu'ils rendent la série plus attachante encore) mais l'intemporalité des gags et des personnages font que ça n'est jamais ringard. Surtout, Carolyn Jones en Morticia et John Astin en Gomez sont magiques, d'une élégance et d'une folie douce qui donnent envie de rester avec eux dans cette étrange demeure.

La série, cependant, installe la Famille Addams dans les esprits du grand public : jusque là, il n'était d'ailleurs pas question de "famille" mais juste de personnages récurrents créés par Charles Addams et qui, bien souvent, n'avaient pas de nom (notamment Morticia et Mercredi). Mais pour en savoir plus sur les origines de cette famille et les transformations opérées par la série (la Chose qui devient une main, l'arrivée d'un étrange cousin chevelu, l'inspiration Karlofienne - mais pas celle que l'on pourrait croire - de Lurch...), on vous recommande de jeter un œil à cette vidéo réalisée par la La Grande Hanterie : c'est très complet, intéressant et on y apprend que Charles Addams s'est marié dans un cimetière pour animaux !

Si on aime autant la Famille Addams, c'est en très grande partie pour son humour noir, sa fantaisie, sa façon de systématiquement inverser les valeurs avec lesquelles on nous bourre le cerveau et de s'extasier de ce qui d'habitude dégoûte ou inquiète. Mais c'est aussi, et surtout, parce qu'on peut s'identifier à cette famille dans laquelle on se sent bien : en fait, derrière les chauves-souris et les grises mines, c'est un archétype de famille idéale, unie, où l'on s'amuse, on s'épanouit, où l'argent n'est pas un problème, où l'on s'aime et où les enfants sont brillants.

Ce film de 2019, réalisé par Greg Tiernan et Conrad Vernon (Sausage Party) a néanmoins la bonne idée de repartir des dessins de Charles Addams plutôt que de chercher de nouvelles apparences ou de coller aux silhouettes imposées par les films de Barry Sonnenfeld. Est-ce suffisant pour faire un bon film ? Non. Mais c'est déjà ça.

Malheureusement, le design des personnages principaux ne nous épargne pas une animation hystérique et tout en rondeurs et mouvements fluides comme le cinéma américain de grands studios nous en inflige depuis deux décennies. Tout est trop lisse, trop propre : on a l'impression de voir des jouets s'animer et, parfois, de se cogner une énième connerie insupportable made in Dreamworks, de l'usage de musiques populaires "in" qui devront faire ricaner ceux qui comprennent le clin d’œil jusqu'aux références plus  adultes" (Ça, Evil Dead, Watchmen...) qui servent de caution geek pour amuser "les plus grands", sans échapper aux scènes spectaculaires supposées en mettre plein les yeux et apporter le quota d'action indispensable. Pire : si vous avez le malheur de voir le film en VF, un fou furieux a eu l'idée de demander à Kev Adams de doubler Gomez, pensant que ça ferait une bonne blague et attirerait les gosses... Non, ce truc désagréable que vous ressentez n'est pas un sentiment, c'est juste l'envie de vomir.

Le voilà, le premier grand drame de ce Famille Addams version 2019 : à faire des pieds et des mains pour essayer de coller à son époque, il n'en sera que plus ringard dans quinze ans, là où la série des années 60 et les films des années 90 traversent les décennies sans problèmes. Vouloir à tout prix coller au présent aujourd'hui, c'est s'assurer que dès demain on fera partie du passé.

Pourtant, on rit souvent devant La Famille Addams. Les critiques globalement très moyennes faisaient craindre le pire, mais illustrent en fait surtout la complaisance dont font preuve certains à l'égard de Disney / Pixar, dont les derniers films sont pourtant bien moins intéressants, et du cinéma d'animation en général : pour beaucoup, c'est une genre à part, "pour les enfants", qui ne mérite pas qu'on y accorde un œil et une oreille attentive. La preuve avec les Oscars qui, année après année, récompensent les mêmes studios alors qu'à côté, des œuvres cent fois plus passionnantes auraient mérité bien plus que ce mépris paresseux.

Bref. Ce Famille Addams là ne fait pas partie de ces œuvres passionnantes. Sans être vraiment bon, La Famille Addams est quand même souvent réjouissant. Les premières minutes présagent même du meilleur, alors que Morticia, face à son miroir, se poudre les paupières avec les cendres de ses parents. Et le regard vide de Mercredi est tellement plus amusant que l'odieux bonhomme de neige dont la pénible logorhée assomme les spectateurs de la salle d'à côté, pourtant plus remplie ! Cet humour macabre fait souvent mouche et, malgré son innocence, réussit à paraître plus turbulent que ce que l'on subit d'habitude.

Hélas, tout le film va bien trop vite, sûrement trop paniqué à l'idée d'ennuyer des gosses surexcités par leur deuxième seau de pop-corns et que l'on croit trop bête pour mériter mieux, comme s'ils étaient déjà les abrutis qu'ils deviendront en vieillissant. Alors il faut aller vite. Il faut du rendement, de l'efficacité. D'où ce rythme hystérique qui étouffe le film où tout est survolé superficiellement. Les gimmicks sont expédiés une fois chacun, histoire de faire plaisir aux fans (Gomez dit Cara Mia un coup pour la route, Morticia dit une phrase en français, Fester se balade une fois l'ampoule au bec et basta) et les sous-intrigues sont balayées d'un clignement de paupières (impossible dans ces conditions de se sentir concerné par le rituel initiatique du jeune Pugsley, et on aurait tant aimé passer plus de temps avec Mercredi au collège)...

Et c'est là le deuxième drame de La Famille Addams : avec une intrigue qui semble vanter la diversité, l'acceptation de l'autre et prétend se moquer du tout standardisé, le film n'apparaît finalement comme rien d'autre qu'un nouveau produit calibré et superficiel où tout est pensé pour correspondre à un cahier des charges et chronométré selon des algorithmes. C'est aussi ça qui est terrible avec le cinéma d'animation : alors que le format permet en théorie une liberté absolue, tous ces films en images de synthèse répètent la même formule et finissent par être interchangeables....

Cette mouture 2019 est au final à l'image de la jeune amie de Mercredi dans le film qui, lorsqu'elle "s'émancipe" en s'habillant en noir, reste esclave de son portable, des réseaux sociaux et de l'image qu'elle veut renvoyer aux autres. On y rit pourtant souvent de bon cœur, mais quel dommage que le message anti-conformiste sonne si faux dans un produit qui jamais ne dépasse de son moule. La Famille Addams reste cependant un bon divertissement dans lequel on n'a effectivement pas le temps de s'ennuyer, souvent amusant, bien meilleur et moins nauséabond que d'autres films ciblant le même public. C'est un bon début. S'il reste un élève moyen qui s'efforce de réciter sa leçon sans être capable de faire preuve de vrai talent, le film a néanmoins pour lui des formidables personnages et quelques bonnes intentions.