Chronique | Puppe Magnetik - Laudans Deum

Pierre Sopor 17 juin 2025

L'histoire de Aina Virtanen, l'artiste derrière Puppe Magnetik, ressemble à une origin story de super-héroïne : après avoir étudié le chant, le piano et le violon à l'Académie de musique Hanns Eisler à Berlin, et alors qu'elle se dédiait à redécouvrir la musique d'opérette des années 1920 et 30, la Finlandaise a été forcée à un arrêt de deux ans. Des difficultés personnelles et une hospitalisation l'ont amenée à chercher l'isolement et l'inspiration dans les paysages reculés de Finlande... et voilà : après les avoir été brisée, après les luttes, Puppe Magnetik était née, forgée par la douleur, les traumatismes, mais également les spectres du début du XXème siècle dont la musique et le cinéma passionnant tant Virtnanen. Le résultat est un mélange atypique d'opérette, de dark ambient, d'industriel, de neofolk... et après un premier EP retraçant les premières expérimentations de la musicienne, voici son premier album, Laudans Deum, "louant Dieu".

Ce Laudans Deum a quelque chose d'un spectacle sombre et biscornu, un truc plein d'instruments désaccordés et brinquebalant où les numéros se succéderaient dans la pénombre d'un cabaret miteux situé dans les recoins les plus sombres d'une ville en ruine. Très vite, l'album apparaît comme un empilement d'influences, d'envies, de sonorités, d'idées qui prennent vie sous la forme de morceaux courts où poésie et dissonances se superposent. Les premiers instants donnent d'ailleurs une bonne idée de ce qui nous attend, comme ce poème d'introduction, Act. XXII, dans lequel le classicisme descend vers une forme de folie contenue, un désespoir qui ne demande qu'à exploser, avant de nous attirer dans les ténèbres atmosphériques de The Invisible Garden et ses samples fantomatiques. On sent l'exigence, la rigueur musicale, mais aussi une envie de fracasser les codes avec une approche industrielle et expérimentale qui, malgré sa complexité ou sa froideur apparente, est jouissive.

Si Puppe Magnetik est née de la souffrance et que les morceaux dégoulinent souvent de mélancolie, il est impossible de ne pas trouver ce goût pour le grinçant, l'étrange et le décalage particulièrement satisfaisant, presque ludique. Dans les rares moments où Puppe Magnetik lâche les rennes et nous embarque avec des morceaux comme Who Will Sing the Sorrow? et son chant entêtant, The Labyrinth (l'artiste confesse avoir voulu s'amuser à essayer sa version d'un titre "catchy"), on se retrouve alors emportés par une douce folie, pulsion de vie rageuse, monstrueuse parade à la Tod Browning faite de bric, de broc et de fracassés. Mais la plupart du temps, Laudans Deum est moins acrobatique et amusant.

Dans ses expériences ambient, Puppe Magnetik mélange le parfum de vieux films muets à une quête mystique. C'est obscur, mystérieux, inquiétant même. On apprécie la place que prend les instruments classiques, donnant à la musique son ampleur et sa variété : le contraste entre The Pregnant Nun et la plus industrielle Sospendium, Rosarium Et Crucifixum aux cris habités, le recueillement de Moritat et les touches exotiques dépaysantes de Laments From the Desert (Puppe Magnetik cite Dead Can Dance parmi ses influences, on comprend parfois pourquoi), l'épaisseur noise oppressante d'Inner Light / Outer Protest et l'apparente sérénité plus minimaliste de Timeless Serenade sont autant d'exemple du grand écart auquel se livre Puppe Magnetik d'un numéro à l'autre.

A l'image de son artwork, mais surtout de sa créatrice, la musique qui titube et danse dans Laudans Deum est un collage d'éléments épars assemblés pour prendre vie, une créature aux contours insaisissables, sombre, parfois effrayante mais néanmoins touchante et capable de légèreté. Puppe Magnetik réussit à y faire cohabiter la radicalité d'une démarche qui flirte occasionnellement avec les expérimentations noise extrêmes et des mélodies ou du chant plus classiques qui permettent à l'auditeur de s'y retrouver. Fermeté et folie créatrice, noirceur apocalyptique et danses cathartiques : Laudans Deum contient un peu de tout ça et est une curiosité passionnante.

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Pierre Sopor

Rédacteur / Photographe