Chronique | Myrkur - Mareridt

Pierre Sopor 14 septembre 2017

MYRKUR est un projet à part, magique et unique. Il n'est pas étonnant de voir qu'Amalie Bruun, l'artiste danoise derrière MYRKUR, se retrouve à tourner avec SÓLSTAFIR, que Christopher Rygg (ULVER) ait produit son premier album ou qu'elle ait travaillé avec CHELSEA WOLFE. Pour Mareridt, son deuxième effort, elle a collaboré avec le producteur Randall Dunn (SUNN O))), WOLVES IN A THRONE ROOM), bref : elle sait s'entourer d'artistes qui, comme elle, ont su sublimer des influences extrêmes pour proposer une musique à la fois touchante, puissante, variée et atmosphérique.

Le premier album de MYRKUR, M, nous avait permis de découvrir son univers riche et fascinant, mélangeant black-metal et musique folk, pour le plus grand désespoir de puristes et autres experts auto-proclamés qui reprochaient à l'artiste de ne pas être une vraie de vraie issue de la scène black. En plus c'est une femme. En plus elle a tourné dans une pub Chanel. Bref, ça fait beaucoup à avaler pour les plus sectaires, toujours détenteurs du "vrai savoir". Laissons les grincheux tremper leurs corn-flakes dans du sang de bouc, et parlons musique. Comme une provocation, MYRKUR semble répondre à ces critiques en allant plus loin encore dans sa démarche : alors qu'un orgueil mal placé ou un attrait pour la surenchère l'aurait poussée à chercher un son plus lourd, Mareridt s'oriente au contraire plus encore vers des terres atmosphériques et fantômatiques. En danois, mareridt signifie cauchemar, et l'on est en effet plongé dès le morceau-titre dans un univers onirique inquiétant, imprégné de folklore scandinave. Ce n'est que sur Maneblot que les racines black metal de MYRKUR commencent à s'exprimer, avec ses guitares déchaînées et ses hurlements... Jusqu'à ce que le chant change radicalement de registre et qu'un interlude folk tout en percussion vienne nous surprendre. 

Le son s'alourdit dans The Serpent, avec ses riffs menaçants et son ambiance opaque. Et même si les guitares sont mise en retrait sur The Crown, le son n'en devient pas plus léger pour autant alors que le tempo ralentit encore. Ce morceau laisse magistralement un peu de lumière filtrer au-travers des ténèbres avec un chant parfois presque pop. Ce qui séduit dans Mareridt, c'est d'ailleurs cette aisance à mélanger obscurité et lumière, légèreté et lourdeur, mais aussi le mystère qui s'en dégage, conférant à l'album une dimension occulte, magique et païenne (c'est flagrant sur l'incroyable Ulsinde, par exemple, un des meilleurs moments de l'album). L'orientation plus gothique et folk de MYRKUR fait plus d'une fois penser à CHELSEA WOLFE et ses titres les plus cauchemardesques, on n'est donc pas surpris plus que ça de retrouver un duo entre les deux artistes absolument magnifique, leurs deux vois se mélangeant de manière naturelle pour un titre mélancolique et pesant aux accents quasi doom. Alors que l'album approche de sa conclusion, un constat s'impose : MYRKUR s'est en effet éloigné de son coeur black metal (certes, il y a Måneblôt, Elleskudt et Ulvinde), cherchant un son plus varié. La chanteuse et multi-instrumentiste élargit d'ailleurs son registre en utilisant notamment des instruments traditionnels scandinaves histoire d'ancrer encore plus sa démarche dans le folklore local. La conclusion de ce cauchemar, Børnehjem (orphelinat en danois), est particulièrement flippante, alors qu'une petite voix démoniaque tout droit sortie d'un Evil Dead engage une sorte de dialogue schyzophrène avec ses démons intérieurs. L'édition collector de Mareridt permet de prolonger ce voyage avec cinq pistes bonus, qui n'ont rien à envier aux autres morceaux de l'album, dont un nouveau titre avec CHELSEA WOLFE, Kvindelil, dont la mélodie donnerait des frissons à un rocher. La mélancolie de Death of Days ou lespercussions folkloriques de Løven devraient encore vous hanter vos tympans un bon moment après les avoir entendues.

MYRKUR a continué d'approfondir son univers après M, premier album déjà prometteur mais parfois maladroit. Mareridt est un disque abouti et magique, entre lumière et obscurité, guitares pesantes et envolées aériennes. Parfois mystique, il est fortement imprégné d'un folklore scandinave qui lui donne toute sa richesse. Avec ce de disque plein d'espoir, de poésie et de menace, MYRKUR atteint enfin l'état de grâce que l'on attendait depuis les balbutiements de ce projet.