Chronique | Lead Into Gold - The Eternal Present

Pierre Sopor 24 avril 2023

Auteur d'un seul album lors de sa première période d'activité entre 1988 et 1991, Lead Into Gold a été réactivé par Paul Barker pour sortir un second album en 2018, faisant de The Eternal Present le troisième format long d'une discographie commencée 35 ans plus tôt... Il faut dire que l'artiste a été occupé : pas loin de vingt ans chez Ministry, on l'a vu aussi dans Pigface, The Revolting Cocks ou encore Puscifer.

La formule alchimique ne change pas : ce qui mène à l'or pour Paul Barker, toujours seul aux commandes, c'est la transmutation des matériaux bruts que sont les émotions, les sons, les instruments. Et dès le morceau-titre servant d'ouverture, on ne peut que constater que le maître n'a pas perdu sa pierre philosophale. Son mélange d'électronique et d'industriel côtoie d'emblée le sublime : il y a ces petites expérimentations bizarres, nuisances mystérieuses, sound-design intrigant (ces cloches en conclusion et leur connotation très religieuses, à peut être mettre en relation avec le thème des croyances personnelles à dépasser qu'évoque Barker) mais aussi cette voix à la fois douce et inquiétante (on pense à Nivek Ogre)... et surtout ce travail rythmique. Les percussions, impitoyables et glaciales, mènent la danse mais chez Lead Into Gold on remarque aussi beaucoup la basse, épaisse et indispensable apportant une touche particulièrement organique aux menaces qui planent sur la musique (The Final Blows).

De la tension, des distorsions : la personnalité du musicien est forte, identifiable. On imagine facilement les titres de The Eternal Present muter vers quelque chose de plus lourdes, on entendrait presque quelques guitares saturées ou la voix d'Al Jourgensen se greffer à ce groove. Énumérer tous les projets auxquels nous fait penser Lead Into Gold ne serait pas réellement rendre justice à l'album tant son auteur a lui-même influencé toute une scène, mais bien sûr qu'il y a là-dedans un peu de Nine Inch Nails, un peu de Skinny Puppy, un peu de Ministry et tout ce qui se trouve entre ces trois là. En profitant de méthodes modernes de production, Lead Into Gold ne se contente pas de stagner dans l'indus d'une époque révolue mais nous nous offre une palette de contrastes forts entre beauté et monstruosité, angoisse et apaisement, ce qui couve et ce qui transparaît (The Surface, hypnotique). On en apprécie le mystère derrière la tension (The Sea The Sun The Past The Sum, et, de nouveau, un fond alchimique qui se dessine), cette manie qu'ont les morceaux de s'enrichir au fur et à mesure de nouveaux sons, cette opposition entre la légèreté presque spectrale du chant et la lourdeur très concrète des machines, cette association entre chaos bruitiste et mélodies conciliatrices (Fugue (for BR))... Mais on est surtout frappés  la voix de Barker, incarnant l'humain dans cet univers mécanique en y insufflant ses émotions mais qui sait aussi nous hanter avec des tons plus sinistres ainsi que la puissances des rythmiques lourdes et subtiles à la fois et le contraste qui se crée entre les deux.

The Eternal Present est un excellent disque dans lequel l'auditeur peut être accueilli par un sentiment de familiarité : on connaît déjà le travail de Paul Barker avant même d'avoir écouté son side-project solo. Partant de là, il n'y a plus qu'à se laisser emporter dans son univers pour en apprécier les nuances, la subtilité, les contrastes, les forces et les vulnérabilités.