Chronique | Kamera Obscura - Dark Reels

Pierre Sopor 26 mars 2017

KAMERA OBSCURA, "chambre noire" : en voilà un nom plein de mystère quand on ne connaît pas ce procédé à l'origine de la photographie, et par extension, du cinéma. Et c'est bien de cinéma qu'il sera question ici, le groupe parisien puisant son inspiration dans le cinéma bis old-school, globalement des années 50 jusqu'aux 80's... au point d'avoir une pochette délaissant le traditionnel format carré pour quelque chose de plus cinématographique ! Ici, la démarche va bien au-delà d'une citation ponctuelle : chaque morceau renvoie à un ou plusieurs films, et les concerts de KAMERA OBSCURA sont accompagnés de projections renforçant ce lien intime entre film et musique.
Et comment ouvrir la danse autrement qu'en citant un des premiers grands acteurs du cinéma d'horreur parlant ? Avec un titre aussi évocateur que Children of the Night, cette entrée en matière ne pouvait se faire sans Bela Lugosi, après une entrée en matière sur un beat et des nappes de synthé évoquant furieusement une bande-son de série B des années 80. Allez, on paraphrase le comte : écoutez-donc KAMERA OBSCURA, quelle musique ils font ! Interceptor démarre sur les chapeaux de roue et dévoile les velléités metal indus du groupe, quelque-part entre la furie de MINISTRY pour les guitares et le groove electro de KMFDM. Le tout à fond le caisse, dans un désert radioactif de préférence. Prévu comme un projet instrumental à l'origine, KAMERA OBSCURA a été bien inspiré de convier Cécile MN au micro, dont la voix apporte un surplus d'intensité, avec un chant théâtral renvoyant parfois carrément au batcave. Posez la question à MICHAEL JACKSON, ALICE COOPER ou WEDNESDAY 13 : quelle voix donne immédiatement des frissons à quiconque l'écoute ? Cette question est rhétorique, bien entendu. Last Man on Earth s'ouvre sur Vincent Price (c'est là qu'on frissonne pour ceux qui n'ont rien suivi), et dans la mélancolie typique de l'oeuvre adaptée de Richard Matheson, avant que le refrain ne ramène rage, folie et gros riffs qui cognent. On reste dans le gros riff qui tabasse et le beat qui secoue le popotin avec le hit bourrin qu'est Flesh Eaters. La piste suivante, The Abominable Dr Phibes, l'emporte cependant sur le terrain de l'efficacité, avec ses riffs toujours si accrocheurs et son ambiance délicieuse. On y retrouve l'atmosphère baroque, mélancolique et décalée du film (un homme au visage brûlé y joue de l'orgue alors qu'un homme meurt étouffé dans un masque de grenouille)... Ah, et on a déjà parlé de Vincent Price plus haut, non ? Alors tout est dit.


Ambiance plus froide et electro sur Terror From Outer Space, influence SF oblige. Un sample récite la formule magique préférée des bisseux ("klaatu, barada, nikto", ces mots sont partout, utilisez-donc google pour voir), et le refrain rageur est, à nouveau, fédérateur au possible. KAMERA OBSCURA, avec ses nappes, ses riffs bien gras et ses samples de films crée un univers à la fois sauvage et onirique, grandiloquent et décalé où toute la démesure esthétique du cinéma d'horreur peut s'exprimer par la musique. Colère, tristesse, pulsions meurtrières et hommage : tout y est dans The Curse of Frankenstein avec son refrain désespéré qui colle aux oreilles (aidé par la voix de Peter Cushing). Suffering vient ralentir le rythme : le morceau est plus atmosphérique, d'une étrangeté gothique des plus réussies, avec sa guitare hypnotique et ses sons électroniques dominant. Dark Reels s'achève sur I Tre Volti Della Paura, et si l'hommage à Mario Bava fait plaisir, on peut le lire sur plusieurs niveau. Le titre du film dans sa version américaine est Black Sabbath... Comment s'appelle-t-il déjà, ce petit groupe anglais qui, en ayant eu l'idée saugrenue de vouloir retranscrire dans leur musique l'ambiance sombre et effrayante des films d'horreur, a donné naissance aux musiques qui nous intéressent ? L'album s'achève donc dans une union samples / guitares des plus réussies, où tout le projet de KAMERA OBSCURA se retrouve justifié : l'alchimie entre cinéma et musique fonctionne du tonnerre alors que les guitares répondent à d'intrigants samples de hurlements et de noms de vampires russes. 
Démence, terreur, chaos, théâtralité et décadence sont les ingrédients de l'univers de Dark Reels, un premier album qui empiète tant sur le domaine du visuel que l'on a du mal à imaginer le projet sans ses performances à la frontière du ciné-concert. Et pourtant, musicalement, KAMERA OBSCURA envoie du lourd, ça accroche et ça tabasse bien fort tout en ayant des ambiances riches. Le projet se savoure donc au premier degré, en plus d'être un véritable plaisir geek pour les fans de cinéma d'horreur.