Chronique | Grave Pleasures - Plagueboys

Pierre Sopor 21 avril 2023

Ayant fraîchement abandonné le nom de Beastmilk pour devenir Grave Pleasures, le groupe de post-punk finlandais mené par le chanteur britannique Mat McNerney sortait en 2017 Motherblood, premier album de cette "nouvelle version" du line-up, et captait l'attention grâce à son mélange de tension et de mélancolie, de douceur et d'amertume, de nostalgie et de modernité. On peut donc confesser sans rougir que l'on attendait fébrilement ce Plagueboys, dont le titre, déjà, semble être la suite logique du précédent...

La continuité thématique est évidente dès les premiers instants : Disintegration Girl évoque forcément le célèbre album de The Cure dans son titre tout en rappelant l'atmosphère d'apocalypse nucléaire du premier album. La démarche de Grave Pleasures est la même : des années 80, ils retiennent aussi bien la musique (les influences deathrock de Heart Like A Slaughterhouse ou les synthés new wave de Lead Balloons -l'histoire ne précise pas s'ils sont 99, cette fois- ou Tears on a Camera Lens, par exemple) que cette paradoxale frénésie consumériste et la menace imminente d'une catastrophe atomique. Dans cet équilibre entre fatalité et béatitude, Grave Pleasures cultive ce goût pour la mélancolie tout en gardant le sourire aux lèvres, par résilience ou par aveuglément. On se souvient de l'EP Funeral Party et ses paroles telles que "we're dancing with the dead" ou "cold war funeral" mais aussi de l'inoubliable Joy Through Death et sa danse parmi les tombes, ici ce sera par exemple High on Annihilation et son acceptation (voire l’idolâtrie) du cataclysme nucléaire. Les plaisirs de la tombe, en somme.

Grave Pleasures n'est cependant pas passéiste, ni musicalement, ni thématiquement. Citer cet aspect bien particulier des années 80 n'est pas innocent, le lien entre la quête du plaisir individuel immédiat l'effondrement de notre civilisation étant tout particulièrement actuel. Si les ombres de The Mission, Killing Joke, des inévitables Joy Division ou la pop de David Bowie surplombent l'ensemble, Grave Pleasures ne se contente pas de refaire ce qui a déjà été fait. Avec ses guitares limpides qui répondent à une basse vrombissant souvent comme le genre l'exige, mais aussi le chant si atypique de McNerney, aussi à l'aise dans les graves sépulcraux que les fréquences plus hautes et claires et narrateur hors pair (pas étonnant que Carpenter Brut ou Nergal pour Me And That Man l'aient invité), le groupe dépoussière ses influences post-punk et gothic rock en leur apportant une touche pop séduisante et solaire pour, encore une fois, aller du côté de la mélancolie douce-amère, réchauffant la froideur des atmosphères gothiques. Les plaisirs de la tombe, encore et toujours.

On apprécie toujours autant la capacité du groupe à nous servir des mélodies accrocheuses et des refrains inoubliables dès la première écoute grâce à un entrain communicatif dans le morbide. When the Shooting's Done, Society of Spectres, Heart Like A Slaughterhouse, Imminent Collapse... Les hits potentiels se suivent. Cependant, Plagueboys ne dégage pas le même parfum d'urgence que son prédécesseur. Moins nerveux que Motherblood, il prend le temps de cultiver sa mélancolie et les ambiances plus introspectives (les trois titres de conclusion, plus cold wave que hits rocks fanfarons).

Faut-il voir dans le titre la danse des médecins de la peste pendant que l'humanité se meurt ? Les responsables de nos fléaux ? Ou bien alors déjà imaginer les enfants de l'atome dansant dans les décombres d'un monde post-nuke, descendant de la Motherblood, achevant de lier les deux albums entre eux ? Un peu de tout ça, peut-être. Grave Pleasures reste une bête sacrément fascinante et son second album est le compagnon parfait pour nous diriger vers notre extinction un sourire enjoué plaqué au visage, éblouis par les promesses d'un séduisant trépas imminent, quelques derniers pas de danse pour oublier tout ce que l'on perdra en route.