Chronique | Filter - The Algorithm

Pierre Sopor 29 août 2023

Dans l'esprit de beaucoup, Filter c'est ce projet de rock industriel "d'un ancien gars de Nine Inch Nails" qui a sorti deux hits incontournables dans la deuxième partie des années 90, Hey Man Nice Shot et Take a Picture. La carrière de Richard Patrick est souvent résumée à l'album Short Bus et éventuellement Title of Record, voire The Amalagamut, bref, rien de mémorable depuis les années 2000. Quand Filter lançait en 2018 un crowdfunding pour sortir un "Short Bus 2", avec le retour du guitariste d'origine (et autre ex-NIN) Brian Liesegang, promettant un "reboot" et un "retour à un son plus bruitiste", plusieurs sourcils nostalgiques avaient fourmillé. Entre-temps, la plateforme PledgeMusic a fait faillite, enterrant l'initiative, Liesegang est reparti et le huitième album studio de Filter est finalement devenu The Algorithm.

Du ReBus prévu à l'origine, il reste deux singles énervés et politiquement chargés absents de l'album (Thoughts and Prayers et Murica) en raison d'un propos trop explicite en décalage avec l'esprit final de l'album, ainsi que Command Z qui conclue The Algorithm... mais aussi, et surtout, une intention de revenir à un son plus lourd. Filter fait un bond de plus de vingt ans en arrière et renoue avec avec l'agressivité de ses trois premiers albums et un mordant qui a souvent fait défaut (malgré un Crazy Eyes déjà plus investi que The Sun Comes Out Tonight). On ne va pas s'en plaindre. A l'approche très politiques prévue, Patrick a préféré ajouter de la nuance et des thématiques plus personnelles (The Drowning parle d'alcoolisme, Face Down, de harcèlement en ligne...).

Musicalement, on apprécie d'entendre les guitares venir de nouveau gratter fort là où ça démange, on salue la hargne dans le chant de Patrick toujours aussi talentueux pour nous coller ses rengaines en tête (Obliteration). Surtout, Filter échappe à ses travers récurrents : The Algorithm n'est ni répétitif, ni mièvre (même sur ses titres les plus sages, comme Summer Child ou Burn Out the Sun, les émotions ne semblent pas surjouées). Il y a toujours cet esprit grunge nostalgique pour appesantir l'ensemble de sa mélancolie, mais néanmoins tourné vers la modernité grâce à l'électronique. On est régulièrement surpris par la construction des morceaux et leur approche presque progressive, qui vient casser la froide mécanique industrielle, pour introduire ici ou là une accalmie, une explosion de rage, une nouvelle couche de machines : The Algorithm est d'une richesse que l'on n'avait pas entendu chez Filter depuis longtemps et prend parfois même des allures de comédies musicales tant les évolutions des morceaux et leurs émotions leur donnent une portée narrative (Say it Again et sa batterie en roue libre, Threshing Floor et son final en apothéose).

Issu d'un développement un brin chaotique, The Algorithm avait en lui les graines d'une intention louable : rebooter Filter. Le pari est réussi et les promesses tenues. Filter en 2023 ressemble souvent au Filter de 2002 et The Amalgamut, avec un sens de l'efficacité retrouvé, une spontanéité rafraîchissante, un équilibre entre électronique et organique bien dosé et des morceaux plus audacieux et inspirés, moins routiniers. Faut-il alors voir le titre Command Z en conclusion comme une note d'intension ? On efface les dernières années et on redémarre avec les esprits clairs.