Chronique | Chelsea Wolfe - Birth of Violence

Pierre Sopor 24 septembre 2019

On avait laissé CHELSEA WOLFE nous étouffer sous les distorsions et réverbérations de Hiss Spun, album aux accents doom et presque industriels qui, s'il n'était pas aussi claustrophobe que le monumental Abyss, asseyait pour de bon la réputation de la nouvelle Reine des Ténèbres. On la retrouve deux ans plus tard en pleine lumière, seule, armée de sa guitare pour un retour à ses amours acoustiques avec Birth of Violence.

Entre ces deux albums, CHELSEA WOLFE n'a cessé d'arpenter le monde en long, en large et en travers au cours de tournées qui n'en finissaient pas (avec notamment ce dernier passage en France fin 2018, en première partie d'A PERFECT CIRCLE). Ce sont peut-être ces longs voyages et cette succession de dates qui lui ont donné envie de composer Birth of Violence et de revenir à une musique plus simple, plus épurée. Peut-être aussi a-t-elle mûri : elle qui se voilait le visage il y a encore quelques années pour ne pas se retrouver directement face au public ne semble plus éprouver le besoin de se cacher, malgré des apparitions live toujours plongée dans une obscurité de circonstance.

Quoi qu'il en soit, après la posture prostrée de Hiss Spun où elle mimait à merveille le Shih-Tzu, on la retrouve droite et en pleine lumière sur un artwork qui, s'il n'est pas ensoleillé, évoque plus la respiration que l'étouffement. Le choix de revenir à l'acoustique continue de faire tomber les masques : l'album ne laisse à la musicienne aucune zone d'ombre dans laquelle se lover. Dès The Mother Road, on la retrouve particulièrement exposée, presque a capella. Sa voix, au premier plan, emplit l'espace comme jamais et CHELSEA WOLFE trouve dans ce minimalisme une nouvelle forme de grâce. Quelques écarts électroniques confèrent à cette entrée en matière toute son ampleur. C'est d'ailleurs dans ces moments que Birth of Violence chavire, au détour d'une sonorité inattendue qui lui donne toute sa fantomatique mélancolie.

Dans cette épure, CHELSEA WOLFE n'en oublie pas de nous hanter mais le fait avec une économie de moyens qui ne retire rien à l'efficacité des effets. Si elle revient à à cette simplicité, elle le fait avec une maîtrise nouvelle et l'album se fait tantôt hypnotique (Deranged for Rock'n'Roll, Erde), tantôt onirique (Little Grave), laissant filtrer une lumière que l'on devine forcément empoisonnée. L'obscurité de Birth of Violence est chaleureuse et accueillante, rassurante même : nous aussi, on aimerait se blottir dans les plaies angoissées de Preface to a Dream Play et s'y complaire. Ça fait mal, mais c'est beau.

On traverse ce dernier album de CHELSEA WOLFE comme on se perd dans le brouillard, on y erre d'ombres en ombres alors que les contours de la réalité se font moins définis. Quelques rayons de soleil filtrent ici ou là mais l'humeur générale est à la grisaille éthérée. Ce retour à plus de simplicité est aussi plus spontané, immédiat et d'autant plus fort qu'il prouve que CHELSEA WOLFE est au sommet de son art : c'est avec trois fois rien et son album le plus accessible qu'elle réussit encore une fois à nous perdre dans ses rêveries lugubres.