Chronique | BRIDES - SANDCASTLE

Pierre Sopor 2 juin 2025

De manière inattendue, le Norvégien Adria Borgia donnait la non-vie à Brides, un projet post-punk / darkwave / gothic-rock qu'il définit lui-même comme un "orchestre pop". Les vrais gothiques ne diront jamais qu'ils sont gothiques, ce serait d'un trivial ! Toujours très productif, l'artiste sort déjà son second album, Sandcastle, un an après Doom Profits.

Si les châteaux de sable évoquent quelque chose d'éphémère et transitoire, fragile et futile, Some Kind of Reptile défie en revanche le temps : les reptiles, figure récurrente chez BRIDES (à l'automne sortait le titre Real Reptile), c'est un peu des dinosaures. Ils sont vieux, ils ont le sang froid, ils sont cools : on dirait des vrais gothiques. Ah non, pardon, on ne doit pas dire "le mot en g", même si ce premier morceau a quelques échos spectraux de Lucretia my Reflection qui soupirent sous les toiles d'araignée. Et puis, d'ailleurs, les Sisters of Mercy (dont Floodland et son groove tout en pesanteur ne sont jamais très loin ici) n'étaient pas du tout goths non plus, n'allez pas nous énerver papy Eldritch !

Borgia impose un style bien particulier : il aime le lo-fi, la réverbération d'outre-tombe. Là encore, sa voix est une ombre, un fantôme, et le minimalisme de sa musique ne la rend que plus lugubre, évoquant aussi bien les ténèbres que les lignes à la fois rigoureuses et pourtant chaotiques du cinéma expressionniste. Entre post-punk et synthpop, les morceaux sont courts et développent chacun une idée simple, une accroche qui reste en tête, une mélodie hypnotique. Borgia se la joue crooner mélancolique (Gold) ou croasse ses refrains d'une voix caverneuse comme si sa gorge était desséchée par quelques siècles de profond sommeil (Dark). Vers la fin de l'album, on se souvient alors de cette manie qu'ont les gothiques d'éviter "le mot en g" : BRIDES se dit "pop", et ses influences "synthpop" prennent des airs d'indus made in Vancouver quand les nappes hallucinées de Here se heurtent à une boite à rythme cinglante d'une manière que n'aurait pas renié Skinny Puppy. SI c'est pour danser, alors ça se fait les bras pendouillant mollement le long du corps, le regard rivé vers le sol.

Ainsi, ce n'est pas parce que Sandcastle dure moins d'une demi-heure qu'il est pour autant un album avare. Au contraire, Adrian Borgia continue de s'amuser comme un petit fou et nous offre un nouveau panorama sinistre mais non dénue de romantisme. Son attitude si dark en est, forcément, un poil second degré et par conséquent plutôt jouissive (même si l'étiquette exige que l'on rigole intérieurement, on ne va tout de même pas déformer nos visages vieux de plusieurs siècles avec d'immondes sourires). Comme il se doit, c'est bien sûr à l'aube que s'achève l'aventure, la mélancolique Daybreak signant l'heure de retourner dans son caveau pour s'abriter du soleil honni et, dans la solitude du tombeau, se remémorer quelques fragments d'existence. Tout cela n'a duré qu'une nuit, petites miettes d'éternité et d'obscurité à la fois mémorables et insignifiantes, mais nous en garderons les fantômes avec nous en attendant que ce vampire norvégien, quelque part entre l'air putride du Comte Orlok et le spleen rock'n'roll d'Only Lovers Left Alive, ne revienne avec une nouvelle collection de ses hymnes pop.

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Pierre Sopor

Rédacteur / Photographe