Chronique | And Also the Trees - Mother-of-pearl Moon

Tanz Mitth'Laibach 23 février 2024

On ne peut qu'être admiratif de la façon dont And Also The Trees a su se poursuivre sa carrière depuis maintenant quarante-cinq ans, sans jamais cesser de se renouveler ni perdre la touche de fascination mélancolique qui a toujours été sa marque de fabrique depuis la coldwave des années 80. Depuis un peu plus d'une décennie, le groupe anglais a évolué vers un son plus acoustique et plus calme, le rendant difficile à classer, si tant est que cela ait une importance. Il y a deux ans, nous avions ainsi le plaisir de faire la connaissance de l'excellent The Bone Carver (chronique), centré sur l'Europe de l'est, délicatement grave. C'est donc avec plaisir que l'on va écouter le dix-huitième album du groupe qui sort cette année, Mother-of-pearl Moon.

Tant le titre, que l'on pourrait traduire par "Lune de nacre", que l'illustration nous font penser à un album qui aura une forte dimension contemplative et un imaginaire où la nature sera omniprésente ; c'est en effet le cas et ce n'est pas surprenant, la campagne du Worcestershire a toujours été une source d'inspiration pour And Also The Trees. Toutefois, on note aussi que le groupe continue aussi d'avoir le regard tourné vers l'est, et même beaucoup plus à l'est que la dernière fois : le titre Valdrada doit son nom à une cité imaginaire décrite par Marco Polo à l'Empereur de Chine Kubilaï Khan dans le roman Les villes invisibles d'Italo Calvino, tout comme le morceau-titre évoque l'extrême-orient.

Et en effet, l'écoute de Mother-of-pearl Moon nous donne la sensation de nous promener dans quelque jardin exotique. L'album nous surprend par son calme : il est vrai que l'on ne s'attend plus depuis longtemps à ce qu'And Also The Trees compose des morceaux tourmentés comme la géniale A Room Lives in Lucy, mais c'est la première fois que le groupe nous fournit un album qui tout entier prend le temps de la contemplation, où le tempo reste lent et sans crescendo ni breaks vraiment sensibles. Et l'on y prend plaisir, car il est très beau : on a de magnifiques passages instrumentaux empreints de gravité et de fascination comme l'introduction de l'album ou les excellents morceaux instrumentaux Ypsilon et No Mountains, No Horizon ; on profite également des passages où l'on suit les doux égarements de la guitare de Justin Jones tandis qu'au chant, son frère Simon contient sa voix grave dans une calme fascination, This Path Through The Meadow et plus encore le morceau-titre en sont de bons exemples. L'album a été construit autour d'une série d'improvisations de guitares en 2020, néanmoins on y entendra aussi souvent la clarinette et le piano de Colin Ozanne. L'ambiance a quelque chose de filmique, on voit s'animer devant nous un paysage sonore. Mother-of-pearl Moon est à vrai dire plus réussi sur le plan des sonorités que son prédécesseur, qui finissait par tourner un peu en rond sur ce plan.

Toutefois, si l'on est ravi par les sonorités, on accroche en revanche moins aux structures. Une chose que l'on aime toujours chez And Also The Trees est la sensation d'être pris entre des émotions contradictoires, mêlant beauté et amertume, la force succédant à la retenue pour nous transporter vers des sommets d'émotion ; cet aspect était toujours très présents sur The Bone Carver mais il disparaît presque sur Mother-of-pearl Moon, qui ne se départit jamais de son calme et de sa réserve. Les morceaux s'approfondissent quelquefois mais dans l'ensemble, leur construction demeure linéaire. Dans le même temps, ils restent légers, de sorte qu'il est rare qu'ils nous immergent complètement dans une atmosphère comme le font ceux d'artistes qui nous ont davantage accoutumés à des musiques contemplatives. Enfin, le chant de Simon Huw-Jones reste toujours dans le même registre, ce qui est un peu dommage par rapport à la variété qu'on lui connaît.

Mother-of-pearl Moon nous donne donc un sentiment un peu mitigé : on a beaucoup apprécié la beauté des sonorités, vivement aimé certains morceaux comme Ypsilon ou Mother-of-pearl Moon, cependant on aurait aimé davantage de relief sur l'album entier pour nous sentir vraiment comblés ; on apprécie finalement mieux les morceaux pris individuellement. L'album aura en tout cas témoigné peut-être plus qu'aucun autre qu'And Also The Trees continue à explorer des voies nouvelles avec talent.