Bank Myna + Point Mort + WuW @ Glazart - Paris (75) - 22 mai 2025

Live Report | Bank Myna + Point Mort + WuW @ Glazart - Paris (75) - 22 mai 2025

Pierre Sopor 24 mai 2025

Des univers atypiques, de la poésie, de la lourdeur cathartique : voilà un programme auquel on ne peut pas franchement résister. Bank Myna et Point Mort fêtaient à Glazart les sorties récentes de leurs albums respectifs et avaient confié à WuW la tâche d'ouvrir la soirée. Trois propositions musicales singulières placées sous le signe de la créativité, des ombres mystérieuses et de la démarche radicale et authentique, où l'on peut en vrac tenter de coller les étiquettes doom, post-metal, post-hardcore, dark rock, etc... peu importe, du moment que ça veut dire sombre, atypique et captivant. Chaque groupe avait droit à une petite heure afin que l'on puisse pleinement apprécier chaque univers... et le running-order avait des airs de Montagnes Russes, avec ses cyclones chaotiques et ses accalmies introspectives.

WUW

WuW ouvre la soirée et, contrairement aux groupes suivants, ne fête pas la sortie d'un nouvel album. D'ailleurs tout langage lié à l'idée de célébration est à laisser à l'entrée : L'Orchaostre, qui remonte à deux ans, était présenté comme un "constat d'échec, celui de notre incapacité collective à prendre des décisions qui pourraient nous faire éviter le pire, ou au moins à essayer". Non seulement rien n'est venu les démentir depuis, rendant ce constat toujours pertinent, mais en plus cela nous garantit une humeur confortable dans laquelle on se sent bien puisque L'Orchaostre est joué dans son intégralité ce soir.

Sur scène, le duo devient quintet. Si les étiquettes "post-machintruc" veulent souvent dire "musique que l'on va voir habillé proprement" et où l'on se demande si les autres sont plus intelligents ou si c'est juste que tout le monde fait super bien semblant de ne pas se faire un peu chier, heureusement, WuW n'est pas là pour prendre la pose. Le groupe a un argument de poids pour les esprits simples comme nous... Et de poids, il est bien question : WuW, c'est lourd, pesant, écrasant. Ils enchaînent les titres instrumentaux menaçants, épais, riches en textures. L'orage est là et ne demande qu'à exploser. On regrette presque les pauses entre les morceaux, car cela laisse le temps au public pour respirer et applaudir, brisant pendant un temps cette ambiance grave. Il n'y a pas de chant chez WuW, pas de parole. Si parfois on ressentirait le besoin d'entendre une voix, un cri, c'est pour mieux laisser échapper ce côté viscéral de leur musique, ses secousses telluriques... mais, effectivement, à ce stade, les mots sont superflus. Leur constat est sans pitié et se passe alors de paroles : il n'y a plus rien à dire. Nous sommes condamnés. Commencer par la fin, inéluctable et sans appel, c'est un début de soirée comme on les aime !

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POINT MORT

Après les grondements lointain du tonnerre, c'est l'heure de la tempête. Point Mort est une tornade, non seulement d'énergie mais également de folie et de créativité. Post-harcore, popcore, crust : les étiquettes s'empilent mais aucune ne tient. Vous avez déjà essayé d'appliquer un autocollant à une tornade, vous ? Bah voilà. Leur nouvel album, Le Point de Non-Retour est un chaos d'émotions et d'univers qui se mélangent avec une générosité et une liberté aussi rafraichissante qu'atypique.

Sur scène, le constat est le même : Point Mort se démarque avant même de commencer à jouer, en faisant brûler assez d'encens pour rendre l'odeur de n'importe quelle fosse agréable. On est ensuite trimballés dans tous les sens, en passant d'une comptine enfantine à un assaut particulièrement brutal. C'est poétique, radical, polymorphe, insaisissable et jouissif dans cette volonté, justement, de tout dévorer, de tout offrir. Le show est assuré : Olivier Millot, très démonstratif à la guitare, est un plaisir à regarder... mais c'est évidemment la chanteuse Sam Pillay qui canalise l'attention. Outre sa performance vocale impressionnante, à la fois intimidante et touchante, sa prestation est presque celle d'une comédienne alors que ses mimiques donnent un visage aux différentes voix qu'elle incarne, autant de personnages qui composent sa personne, patchwork polycéphale un brin schizophrène comme peut, d'ailleurs, l'être la musique de Point Mort. Une tornade, là encore.

Point Mort est facétieux, Point Mort hurle ses tripes et, juste après nous avoir ratatinés et fracassé chaque échelon de l'échelle de Richter, pourrait muter de façon inattendue en une version hardcore de Lady Gaga. C'est ludique, poignant et sacrément satisfaisant en tant qu'auditeur. De la violence, de l'encens et des fleurs sur le pied de micro : tout est là et ce tourbillon zinzin et cathartique dégage une forme de poésie dans ses contrastes mais aussi la sincérité innocente de ses émotions qui explosent, de ce plaisir de jouer avec les codes.

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BANK MYNA

Changement d'ambiance radical avec Bank Myna, dont le récent Eimuria (chronique) n'a pas fini de nous obséder. Doom mystique et atmosphérique, incantations introspectives, hallucinations oniriques : on connaît la capacité du quatuor pour s'affranchir des triviales règles du réel. D'ailleurs, en noyant Glazart dans une épaisse fumée, Bank Myna clarifie ses intentions : on n'est pas là pour faire dans le tangible ! Cette semaine, le public parisien a pu voir sur scène Amenra ou les Sisters of Mercy, deux groupes connus pour abuser des machines à fumée... et qui étaient étrangement plus visibles que d'habitude. On sait désormais pourquoi : Bank Myna a piqué toutes les machines à fumée du continent européen ! D'ailleurs, à l'heure où de plus en plus de groupes interdisent l'usage de téléphones pour capter leurs concerts, on tient ici la solution... pas besoin d'interdire, il suffit de rendre leur usage totalement inutile !

C'est donc après avoir fracassé tous nos repaires spatiaux (on est complètement perdus dans le brouillard) et temporels (le concert commence vers 22h30, on ne sait déjà plus quel jour on est) que le groupe commence à jouer. La magie opère immédiatement, bien sûr. Nous sommes conditionnés pour être réceptifs, que ce soit grâce à la pénombre et la purée de pois ou la performance de Point Mort juste avant qui nous a permis d'évacuer toute tension. Aucune excuse pour ne pas être attentifs. On est alors suspendus à ce violon qui rôde dans la brume, à ces riffs qui, progressivement, nous hypnotisent, à ce chant qui semble nous parvenir de très, très loin et à cette batterie que l'on ne voit pas mais dont chaque coup semble provenir du fond des entrailles de Constantin du Closel pour venir cogner dans les nôtres.

On est bien, là, à écouter. On ne voit pas trop les voisins et c'est tant mieux, ce sont des gens habillés proprement (concert "post-machintruc", vous vous souvenez) et cette fin de soirée donne l'impression d'un rêve étrange en tête à tête avec le groupe. Côté performance, la mutation de Bank Myna est à l'image de leur musique : avec un second album plus rentre-dedans, plus lourd, forcément, le concert est lui aussi plus spontané à l'image de ces moments où Maud Harribey lâche son violon et son clavier pour faire face au public et lui transmettre ce qu'elle a sur le cœur. Bank Myna ne fait pas dans l’esbroufe ni la démonstration technique et si les morceaux durent si longtemps, ce n'est que pour prendre le temps nécessaire pour mieux nous piéger.

Pas de postures, pas de triche, pas d'artificialité : Bank Myna invite son public à laisser de côté ses masques et son équilibre pour les rejoindre dans cet état bien particulier d'abandon, de transe. Pas de panique, personne ne vous voit, de toute façon. Insaisissable mais très beau, on ressort de ce concert comme d'un étrange rêve dont les souvenirs continuent de hanter les ombres de notre esprit. Est-ce que tout cela s'est vraiment produit ? Allez savoir...

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Pierre Sopor

Rédacteur / Photographe